Ce qui suit est le premier billet manga que j’ai publié, le 5 septembre 2010, à la création de mon premier blog. Il se trouve que j’y ai écrit une information inexacte : que L’Île des Téméraires était un one-shot. C’est bien ainsi que Kana nous l’avait présenté (pas de numéro de tome), et la fin pour le moins violente du récit pouvait le laisser croire. Or, cette année 2011 a vu la parution au Japon des tomes 2 et 3… de ce « one-shot ». Et renseignements pris, les tomes 2 et 3 sont une vraie suite, toujours sur le thème de l’histoire des kaiten, les torpilles humaines. Des personnages historiques vont faire leur apparition. Des personnages de fiction, présents dans le 1, sont toujours là. Cela change forcément la perception que j’ai pu avoir de cette histoire. Eh oui : ce qui, sur un seul tome, m’apparaissait comme une dénonciation de l’exploitation des soldats transformés en kamikaze, s’avèrera-t-il au contraire une « banale » glorification du sacrifice suprême? Je ne l’espère pas.
Et, au passage, je reste rêveur sur une telle pratique de la part de Kana.
Ignorant cela, j’avais livré un compte-rendu obligatoirement biaisé, sous influence. Et certainement naïf. Mais c’était un de mes tous premiers ! Alors je vous le remonte tel quel. Avec l’avertissement qui précède. Et, au passage, un petit complément d’information : le mangaka, Syuho (ou Shuho) Sato, est également l’auteur de Say Hello to Black Jack, et d’Umizaru, ange des mers.
L’Île des Téméraires (Tokkou No Shima)
De Syuho Sato
Kana, 2009 – Hobunsha, 2006
One-shot, 164 pages
L’histoire :
1944, le Japon est en train de perdre la guerre. L’ïle de Saipan, importante base aérienne nipponne, a été prise par les américains. Le haut commandement militaire décide alors de recourir à une nouvelle tactique : les attaques suicides. Watanabe Yuzo, 18 ans, est un jeune soldat du Yokaren, l’école préparatoire des pilotes de l’aéronavale. Il se porte volontaire, parmi cent autres cadets, pour un entraînement à la mission suicide Kaiten, c’est-à-dire les torpilles humaines.
Pour Watanabe, le choix n’a pas été difficile : pauvre parmi les pauvres, il est sans avenir, et la mort au combat est un destin acceptable. Mais au centre d’entraînement, il est fasciné par l’officier Nishina, concepteur des Kaiten, et lui-même volontaire pour piloter une torpille Kaiten. Watanabe se demande comment un homme jeune, brillant officier, peut ainsi concevoir une arme suicide dont il se destine à être le pilote !
Au fil des jours, Watanabe s’interroge sur ses propres motivations, et sur celles du mystérieux Nishina. Tandis que la mort devient la seule issue possible.
Ce que j’en pense :
Ce manga est passionnant, pour moi qui suis tellement intéressé par l’histoire, notamment celle de la seconde guerre mondiale. D’un réalisme saisissant, raconté à hauteur d’homme, il présente un aspect méconnu du phénomène kamikaze, celui des Kaiten, ces invraisemblables (et inutiles) torpilles humaines lancées en 1944 par fanatisme et désespoir contre l’écrasante supériorité militaire américaine.
Il montre simplement et avec humanité le mécanisme qui mène une partie de la jeunesse japonaise à accepter l’idée du sacrifice suprême, et en explore les motivations, qui sont bien plus complexes qu’un simple fanatisme nationaliste. D’un kamikaze à l’autre, elles ne sont pas forcément les mêmes. Ici, les différences sociales expliquent au début les raisons différentes qui poussent un jeune et brillant ingénieur militaire, et un soldat d’origine misérable, à partager le même destin. Au final, les différences sont effacées, et le sacrifice devient une quête du sens de la vie, mais aussi d’une nouvelle et suprême liberté, celle de choisir sa mort dans une société qui vous oppresse dès la naissance.
On peut être horrifié (et je l’ai été) par l’absence d’alternative qui se propose à ces jeunes hommes, et par l’absurdité de cette mission Kaiten, totalement inutile (la torpille humaine Kaiten était quasiment impossible à manoeuvrer, et la probabilité de couler réellement un navire ennemi était proche de zéro), mais l’histoire (authentique) est racontée sans extrémisme, sans nationalisme, et montre même un authentique amour de la vie de la part de ces jeunes soldats. L’ambiance, pesante, est magnifiée par quelques détails, et Watanabe, s’il n’avait pas été socialement un moins-que-rien, aurait pu choisir un autre destin, peut-être celui d’artiste (ou, à une autre époque, de mangaka), car il dessine dès qu’il le peut.
Au final, je garde un goût amer de cette hymne à la vie, qui se crie enfin lorsque la mort choisie, est acceptée, et devenue inéluctable. L’absurdité de cette société nippone, qui destinait toute sa jeunesse à la mort, en ressort d’autant plus cruellement. En lisant ce manga, par ailleurs remarquablement dessiné et mis en page, je comprends mieux l’attachement que suscite cette jeunesse sacrifiée, dans l’imaginaire nippon d’aujourd’hui, et pourquoi peu de nations sont aussi viscéralement attachées à la paix. Enfin je l’espère.
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