Ce mois de juillet, je l’avais commencé avec le polar. J’avais continué avec l’horreur, façon grand-guignol. Et là, logique implacable, c’est par le gore que je continue mon exploration des genres du manga. Honnêtement, à la base, ce n’est pas mon style préféré. Mais n’écoutant que ma curiosité (ou mon inconscience), je ne pouvais pas passer à côté de ces deux trouvailles, glanées sur les rayonnages d’un dépôt-vente, surtout à un prix dont l’évocation fait sourire (c’est à peu près la dernière fois que vous sourirez à la lecture de ce billet) : MPD Psycho et Blood the Last Vampire. Ok, le rapprochement de ces deux mangas est totalement arbitraire, comme, du reste, chaque fois que je commets cette sorte de billet thématique. Reconnaissez que je ne pouvais tout de même pas présenter MPD Psycho en commun avec Doaremon ou Amanchu. Quoi, je suis de mauvaise foi?
Pouf, pouf.
Blood, the Last Vampire
de Benkyo Tamaoki
2001, Kadokawa Shoten
2003, Panini France, 200 pages
Acheter un manga sans avoir vu le film dont il est tiré, c’est tout moi. Du coup je n’avais aucune idée de ce que ça racontait, et je l’achetai juste parce que le nom me disait vaguement quelque chose, en rapport avec Mamoru Oshii. Première surprise : c’est un one-shot. Je reconnais avoir cherché quelques secondes un numéro de volume avant de le comprendre. Je ne sais pas pourquoi, mais le titre m’évoquait une série… Bref, passons. Deuxième surprise : ce n’est pas l’adaptation du film, mais une suite. Après vérification, il s’agit même d’un travail de commande, passé par le studio IG à un certain Benkyo Tamaoki. Troisième surprise : ça flirte avec le gore et le hentai. Ero-guro? Non, loin de là, et renseignements pris, Benkyo Tamaoki, alias Toshihiko Sumi, est connu pour être un auteur de hentai (the Sex Philes), ce qui explique la présence de scènes quasiment explicites de sado-masochisme.
Découvrant l’histoire de Saya par le biais du manga, je n’avais aucun a priori. On rentre dans le vif du sujet, avec une première baston qui se termine de façon très tranchante. Saya est un étonnant personnage, une jeune fille à la mine shootée habillée en uniforme scolaire et trimballant un katana dissimulé dans un emballage ficelé. Elle appartient à une organisation (militaire? policière? scientifique? tout cela à la fois?) pour qui elle traque des monstres, des sortes de vampires appelés chiroptériens, qui vivent cachés au milieu des humains dont ils se repaissent du sang. Leur cible favorite : les jeunes filles, qu’ils enlèvent pour constituer une sorte de harem, ce qui nous vaut quelques représentations visuelles proches du hentai. Les choses se compliquent lorsqu’intervient la rivale de Saya, une chiroptérienne appelée Maya et qui est son sosie. Quelques bras et têtes coupées plus tard, on apprend le pourquoi du comment dans une révélation finale téléphonée, avec le grand classique de l’explication qu’accorde systématiquement le méchant au gentil avant de le tuer (ou de se faire tuer). Vous avez dit cliché?
A cause de son twist final, Blood, the Last Vampire apparaît donc comme la tentative de donner un nouveau sens à une franchise à succès, et la question se pose de savoir si le manga existe pour lui-même, en dehors de ce contexte. La réponse est non, si on se tient à cette fin, laborieuse et sans grand intérêt. C’est d’ailleurs la partie la moins bien dessinée du manga, comme si l’auteur lui-même n’en avait rien à péter, et se contentait seulement d’expédier les termes de son cahier des charges. La réponse aurait pu être oui, si le fil conducteur n’avait pas pris un tel virage, et s’était contenté d’enchaîner les scènes de combat en laissant planer le mystère. Car le manga n’est pas mauvais. Le dessin est semble-t-il éloigné de l’original, ce qui n’est pas un mal, et il se déploie librement lorsque le mangaka aborde ce qu’il sait bien faire (et il le fait très bien, je l’admets) : les combats sanglants et les scènes de cul. Pour le reste, dès que ça parle ou que ça gamberge, l’auteur fait le strict minimum : peu ou pas de décors, des personnages presque toujours sur fond blanc ou noir, ça fait un peu remplissage. C’est bien dommage, et ce sentiment d’inachevé laisse finalement planer le doute quant aux intentions de ce projet. Juste gagner des sous en complétant une licence, et en flirtant sur son succès ? C’est probable. Du coup, ressurgit l’idée de la gratuité de la représentation de la violence, qui n’a plus tellement d’alibi, à part la maestria graphique de son dessinateur. Une déception, avec un gros sentiment de malaise. Mais en ce domaine, il y a pire : voyez plus bas.
MPD Psycho
d’Eiji Otsuka et Sho-U Tajima
1997, Kadokawa Shoten (15 vol, en cours)
2004, Pika Senpai (14 vol, en cours)
Pour une analyse complète de ce manga (notamment de ses aspects psychologiques), je renvoie, bien entendu, à l’article d’Ileca qui, lui, a lu la série jusqu’au derniers tomes parus – je me suis arrêté au 3ème, et je n’ai donc pas la même vision d’ensemble, ni le même recul, notamment par rapport au scénario. Ce qui suit n’est donc qu’impressions saisies à la volée, et retranscrites aussitôt après lecture.
Dans Blood, on avait droit à notre dose de bras coupés, têtes tranchées, boyaux qui giclent et sang qui coule, normal, vu le titre. Mais finalement, ça restait une histoire entre vampires et autres bestioles répugnantes. Un cran est encore franchi dans MPD Psycho, mais cette fois avec une imagination beaucoup plus foisonnante dans le mode opératoire (et c’est le cas de le dire, parfois, on est proche de l’opération chirurgicale – version psychopathe). Ici, pas de sabres, en tous cas je n’en ai pas vus, mais on a toute une gamme de techniques pour déssouder les victimes. Du plus simple (le flingue qui fait des très gros trous) au plus élaboré (la dissection « artistique » ). Encore qu’on n’assiste pas nécessairement aux meurtres lorsqu’ils se font, mais plus tôt à la mise en scène de leurs résultats. Et c’est bien là que MPD Psycho fait vraiment froid dans le dos : si on laisse tomber l’histoire un instant (ou plutôt, si elle nous laisse tomber – mais j’y reviendrai), MPD Psycho se réduit rapidement à une exposition de corps mutilés, dans des poses grotesques et théâtrales, qui sont supposées germer dans le cerveau (et là aussi, c’est le cas de le dire) des pires tueurs en série de la planète ; mais dont il faut se souvenir, tout de même, qu’ils sont la création (graphique, uniquement graphique, certes) d’un scénariste et d’un dessinateur. Et de cette idée, je n’ai pas réussi à me débarrasser.
Ceci étant posé, de quoi ça parle? Je vais essayer de faire simple, ce qui n’est pas facile. Alors, au vu des premiers tomes, MPD Psycho (dont l’acronyme signifie Multiple Personality Disorder) est une histoire policière, située aujourd’hui au Japon, où une agence de détectives privés spécialisés dans le profilage traque des tueurs en série. Du classique, en somme. Là où ça devient intéressant, c’est que le principal profileur, ex-flic, est lui-même atteint de graves troubles de la personnalité, au moins depuis qu’il a commis une bavure en tuant de sang-froid l’assassin de sa copine. Bavure pour laquelle il a purgé plusieurs années de prison. Depuis, il alterne entre au moins trois personnalités, dont l’une est celle d’un tueur psychopathe. Jusqu’à ne plus savoir, au cours des enquêtes qu’il mène, jusqu’où il n’est pas lui-même impliqué… Brouiller les pistes en multipliant les points de vue et les interprétations possibles, c’est toujours une des meilleures manières de mener un thriller.
La deuxième bonne idée du scénario, c’est qu’entre tous les meurtres sur lesquels enquête notre profileur (je l’appellerai Kobayashi, c’est le premier de ses noms dans l’ordre chronologique, je vous fais cadeau des suivants), un fil d’Ariane va rapidement être décelé. Je ne vous dis pas lequel, sauf un indice : les tueurs ont en commun d’avoir un code-barre tatoué sur la sclérotique (pour ceux qui, comme moi, ne sont pas familiarisés avec le vocabulaire ophtalmologique, la sclérotique c’est le blanc de l’oeil). Dès lors, toutes les théories sont possibles et à ce stade, le lecteur que je suis s’amuse à les échafauder. Secte? Mafia? Expérience scientifique foireuse? Complot politique? Tout cela à la fois?
Le hic, c’est que si le scénario propose, au long de ces trois premiers tomes, assez de pistes pour faire travailler l’imagination, celle-ci est également frappée par la représentation graphique d’une ultraviolence particulièrement peu ragoûtante. Et ça commence dès les premières pages. MPD Psycho donne à voir, et les amateurs en auront pour leur argent. Et je n’en suis pas. Pourtant j’ai vu. Ce n’est pas du gore crapoteux, non, pas le genre vomitif avec bidoche étalée par petits bouts tremblotants, c’est bien pire : car c’est beau. Dans MPD Psycho, les meurtres sont mis en scène avec recherche, les corps exposés comme dans une galerie d’art contemporain, créant des images qui, une fois vues, restent durablement ancrées dans votre imagination. Et ça s’enchaîne sans trêve, l’histoire nous mène de tueur en tueur et de meurtre en meurtre, avec quelques apogées dans l’innommable, toujours remarquablement présentés graphiquement. Je voudrais bien donner des exemples sans spoiler mais ce n’est pas possible. Donc, je me contenterai de prévenir : la mention « pour public averti » figurant en dernière de couverture étant assez vague, MPD Psycho n’est pas pour les lecteurs sensibles, même adultes. Personnellement, j’ai passé une soirée inconfortable après ma lecture.
On pourra me rétorquer que la violence dans les mangas, ce n’est ni nouveau ni inhabituel. Certes. Mais même dans un cas comme Blood, il y a un scénario qui explique la violence. Or dans MPD Psycho, le scénario, pour habile qu’il puisse paraître au début, m’est très vite apparu comme une simple justification à l’enchaînement de scènes de morts ultraviolentes. On progresse dans l’intrigue (c’est-à-dire qu’on s’y perd de plus en plus), mais toujours avec le même schéma : apparition d’un nouveau tueur psychopathe, nouvelles trouvailles dégueulasses dans l’exécution des victimes, le profileur comprend tout de suite de quoi il ressort et hop, re-violence spectaculaire qui se termine par la mort du tueur. Et on passe au suivant. (Au passage, je précise que les deux images ci-dessus qui illustrent cet article sont parmi les plus soft de tout le manga.)
MPD Psycho est-il donc un manga à déconseiller? Je le crains, et ce d’autant plus amèrement que j’ai été agréablement séduit par son dessin. Le manga lui-même est un assez bel objet. Beaux graphismes de couverture, dans le genre surréaliste. Elégance de ce noir avec une couleur dominante. Premières pages couleurs avec un calque qui centre sur un détail de la page suivante. Pages en papier glacé de qualité. L’objet est plus lourd en main qu’un manga classique. Le trait de Sho-U Tajima est très fin, très soigné, et à première vue réaliste; mais finalement très stylisé, posé, cadré, maniéré. C’est un plaisir à lire, avec une belle clarté, qui met d’autant plus mal-à-l’aise lorsqu’elle jette une lumière crue sur les scènes les plus gore. Les personnages sont remarquablement caractérisés et on les identifie sans problème. Enfin, je veux dire physiquement, parce que psychologiquement, c’est moins clair. Quelques traits sont un peu agaçants : Kobayashi a un visage d’adolescent à la Harry Potter avec mèches, on dirait Light dans Death Note. Un soin particulier est accordé aux vêtements, avec des plis et des reflets hyper travaillés, donnant l’énervante impression que tous les personnages sortent d’une séance d’essayage dans une boutique hype de Shibuya. Cet esthétisme, s’il est plaisant à voir, je le reconnais, me file des sensations carrément désagrables dans les scènes de violence, car il en souligne, si cela était encore nécessaire, l’absurdité et la cruauté.
Et se pose pour moi de nouveau cette question : à quoi bon? A quoi sert un tel manga? A nous faire réfléchir? ou à nous divertir? Je ne suis pas tellement certain que la première réponse soit la bonne, car rien, RIEN ne vient l’étayer. A aucun moment un début de justification ou d’analyse n’accompagne cette suite de scènes. Il n’y a aucune distanciation, même pas esthétique, puisque comme je l’écris plus haut, le dessin ne fait qu’amplifier le malaise. En revanche, en cherchant à me documenter, je suis tombé sur moult sites et forums proclamant leur admiration pour MPD Psycho, sans qu’aucun ne soit capable d’argumenter au-delà du « ça déchire« . Certains essaient de justifier leur appétance par un « c’est super psychologique » ou « c’est vachement complexe« , mais à mon humble avis, ce n’est pas parce que l’intigue est alambiquée qu’elle est nécessairement subtile.
En conclusion :
Bref, je pense que ma lecture n’ira guère au-delà de ce troisième tome. A moins que j’en trouve d’autres d’occase, histoire de vérifier s’il n’y a pas autre chose que je n’aurais pas saisi… Une chose est sûre, le gore et l’ultra-violence n’ont jamais été ma tasse de thé, et ce n’est pas maintenant que ça va changer. Heureusement, ce n’est pas cela non plus qui va me faire changer d’avis sur le manga en général. Finalement, par comparaison, Blood n’était pas si dérangeant que ça.
La postface d’Eiji Otsuka n’apporte pas grand-chose, à part une étrange tentative de justification de la représentation de la violence : en comparaison avec le reste de la production manga, MPD Psycho serait plus honnête et plus juste vis-à-vis de ses lecteurs, puisqu’il représente la mort en face, là où les autres laissent les corps en arrière-plan, et font de la violence quelque chose d’abstrait. L’idée est intellectuellement intéressante, mais elle confine au syllogisme : « les autres mangas, qui ne montrent pas le résultat de la violence, sont plus dérangeants que le mien, et pour le prouver voici un joli dessin de corps mutilé » . Mmouais, je pense quand même que ce procédé est particulièrement hypocrite. La violence, les corps, les drames, la mort, il y a bien des mangas qui les ont montrés, en les mettant en perspective avec un peu plus de réflexion et de recul. Et aussi, de modestie. A titre d’exemple, et dans des genres très différents, Gen d’Hiroshima (dont je viens de commencer la lecture), L’Ecole Emportée, Dragon Head, Opération Mort, Satsuma, etc… Sans parler des mangas d’horreur fantastique, comme ceux de Junji Ito, qui mêlent violence, humour et merveilleux, pour retrouver le ton des contes de notre enfance, peuplés de loups-garous, d’ogres et de sorcières. Et bien d’autres mangas, qu’il me reste encore à découvrir. Heureusement.
Même après avoir vu le film, lu le roman et joué au(x) jeu(x) PS2, soit les 3 composantes originales de ce média-mix, le manga de Blood est une grosse déception. Comme tu dis c’est une tentative vaine de relancer la machine, mais ça ne prendra pas et le retournement final fera guise de conclusion assez décevante à la continuité originale.
Mais le pire est que la franchise sera rebootée quelques années plus tard dans le soporifique Blood+ où Saya devient une jeune fille bien sous tous rapports mais avec un passé lourd, puis cette année on reprend à zéro une fois de plus avec les CLAMP aux comandes dans Blood-C, avec une Saya couette-couette-lunette doublée par Mizuki Nana.
Blood c’était mieux avant (mais vraiment avant-avant parce que meêm le roman et le jeu sont pas tops)
Je trouve Tetho un peu sévère avec Blood+, une série que j’avais suivi avec plaisir (il y a tellement d’anime plus chiants qui sont pourtant encensés par la blogosphère)
Par contre, je suis d’accord pour dire que le meilleur format de la franchise est le moyen métrage, l’ambiance y est vraiment unique. tu devrais vraiment le mater Mackie.
@Tetho & Faust : merci pour vos avis, j’ai aperçu le DVD d’occase à plusieurs reprises et je ne devrais pas avoir de mal à le choper une prochaine fois.
Je pense que ceux qui trouvent que Blood+ est une véritable imposture sont ceux qui n’arrivent pas à se défaire de l’impact que leur a procuré le film. Ce qui en soi est tout à fait compréhensible. Blood+ n’est pas super mais en réfléchissant sur la license, c’est pire.
« les autres mangas, qui ne montrent pas le résultat de la violence, sont plus dérangeants que le mien, et pour le prouver voici un joli dessin de corps mutilé »
C’est plutôt que dans le monde du shônen où tout est beau et se résout par la force de l’amitié, il y a beaucoup de morts au compteur sans aucun traitement réaliste. Une scène de bataille n’est pas une boucherie, un massacre mais un acte héroïque – au mieux dramatique quand un perso secondaire meurt.
Après, on est d’accord, ce n’est qu’un prétexte.
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