Eternal Sabbath, thriller doux-amer

Eternal Sabbath
de Fuyumi Soryô
Kodansha, 2002
Glénat, 2004-2005

L’histoire :
Qui pourrait croire que ce charmant jeune homme possède le plus terrifiant pouvoir qui soit : hacker le cerveau de tout personne passant près de lui? Il se fait appeler Shuro, mais ce n’est qu’un nom d’emprunt. Il a pour nom de code : E.S. aka Eternal Sabbath. D’où vient-il, et a-t-il un but? Il ne semble pas s’en préoccuper, jusqu’au jour où il croise quelqu’un dont il n’arrive pas à contrôler l’esprit aussi facilement que d’habitude : Mine Kujô, neurologue dans un centre universitaire de recherche, dont il va chercher à se rapprocher.

Dans le même temps, un petit garçon de 10 ans, qui ressemble étrangement à Shuro, commence à montrer des pouvoirs similaires, sauf qu’il les utilise pour donner la mort à ceux qu’il juge méchants, ou simplement par ennui… On l’appelle Isaac. L’affrontement est inévitable.

Ce que j’en pense :
Parmi les invités du prochain salon du livre de Paris, du 22 au 25 mars, est annoncée la dessinatrice Fuyumi Soryo, pour Cesare, une nouvelle série historique éditée par Ki-oon, avec Motoaki Hara comme scénariste. La mangaka a déjà eu deux séries publiées chez nous, Eternal Sabbath et Mars, et j’ai justement eu la chance de trouver les 8 tomes d’E.S. cette semaine. Á première vue, le synopsis a l’air un peu artificiel, et sonne déjà vu : le coup du héros qui chope des superpouvoirs suite à une expérience scientifique foireuse, et qui doit lutter contre son clone super méchant. Avec une telle base (et ce titre : Eternal Sabbath !) on devine le topo : thriller et baston à la Zetman sur fond de complot machiavélique et de menace apocalyptique, et des retournements de situation en veux-tu en voilà.

Et bien pas du tout. Certes, c’est bien un thriller, il y a des affrontements et des victimes. Mais Eternal Sabbath abandonne d’emblée toute idée de surenchère dans la violence et le spectaculaire, pour prendre le temps de se développer, avec une tension qui augmente progressivement, j’allais dire avec douceur, et de se concentrer sur la psychologie des personnages, et sur les rapports qu’ils nouent entre eux. C’est là qu’on voit que Fuyumi Soryo est une auteure expérimentée de manga shojo, ayant une douzaine de titres à son actif, one-shots et séries.

D’ailleurs, le personnage central n’est ni Shuro, le charismatique mutant qui hacke les esprits, ni Isaac, son clone psychopathe au corps d’enfant, mais Mine, une jolie jeune femme plutôt renfermée, qui sous sa blouse blanche de scientifique dissimule un cœur en hiver. C’est à travers ses beaux yeux qu’on assiste au duel Shuro/Isaac, dont on devine au fur et à mesure que l’issue sera moins dictée par l’emprise de l’un sur l’autre, que par la manière dont chacun devra apprendre à s’accepter, et à devenir… humain.

D’ailleurs, tous les personnages sont dotés de personnalités adultes et réalistes, et évoluent en fonction de préoccupations compréhensibles et cohérentes – même Isaac, à la personnalité chaotique, est poussé à la violence par des motivations somme toute compréhensibles : la vengeance, le sentiment d’abandon, l’absence d’amour. Tous sont fragiles, hésitants, contradictoires, et évoluent de façon naturelle, sans à coups. Même la fin, qui arrive en un lent crescendo, se dénoue de façon quasiment naturelle – si je puis dire, vu le contexte de science-fiction. A noter qu’Eternal Sabbath contient également une intrigue secondaire particulièrement déchirante, ayant pour thème l’enfance maltraitée, mais j’en dis déjà trop.

Pour ne rien gâcher, Eternal Sabbath m’a séduit aussi par son dessin et sa mise en scène, multipliant les climax psychologiques sans paroles, avec de beaux moments contemplatifs, souvent chargés émotionnellement, à travers des gros plans sur les visages, et sur les regards. Le visage de Mine, avec ses beaux yeux tristes, redonne souvent une salutaire lueur d’espoir au milieu de pages d’une noirceur désespérée.

Quant aux moments d’affrontement ou de « visions » ils sont traités avec un cocktail de poésie, d’horreur et de psychédélisme assez original, la violence étant plus suggérée que montrée. Le résultat est parfois stupéfiant  d’élégance.

Certains pourront trouver qu’Eternal Sabbath ne remplit pas le cahier des charges, avec ses intrigues secondaires (notamment sentimentales) qui prennent le pas sur le thème annoncé ; je trouve au contraire pour ma part qu’il mérite qu’on prenne le temps de le lire, qu’on se laisse prendre par son rythme lent, son ambiance douce-amère, et sa dimension de thriller psychologique qui n’est pas sans me rappeler certains bons moments de Monster.

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