La submersion du Japon
(Nihon Chinbotsu)
de Sakyo Komatsu
1973 – Picquier, 1996
L’histoire :
Onodera est océanographe et pilote de bathyscaphe. En cette fin d’été particulièrement chaud et lourd, il rejoint l’équipage d’une expédition secrète : comprendre pourquoi un petit îlot, près de la Fosse du Japon, a disparu sous les eaux. Sous la direction du Pr. Tadokoro, savant aussi célèbre pour ses intuitions que pour son franc-parler, l’équipage fait une découverte extraordinaire et angoissante : le fond de l’océan est en train de s’affaisser nettement… Ce qui expliquerait pourquoi les séismes, certes habituels au Japon, sont en train de se produire à une cadence inquiétante…
Ce que j’en pense
Nihon Chinbotsu, La submersion du Japon, est le roman le plus célèbre d’un des plus populaires auteurs de sci-fi japonais : Sakyo Komatsu. Plusieurs millions d’exemplaires, des traductions dans des tas de langues pas d’cheu nous et des adaptations en manga, en drama TV, en long-métrage… Bon, ceci dit, ce n’est pas vraiment pour cela que je m’y suis intéressé. Quand j’ai vu le titre chez mon libraire, ça m’a bien sûr rappelé le désastre du 11 mars 2011. Et la couverture de l’édition poche, avec ce détail d’un célèbre Hokusai, a autrement plus de gueule que la vulgaire couv’ de l’édition américaine (ci-contre : pas sûr que je l’aurais achetée, celle-là. Surtout que de manière subliminale, je ne peux m’empêcher de lire Japan Stinks). Bref. La Submersion du Japon est un roman d’anticipation, certes, mais qui n’a rien d’un divertissement, car il trouve dans l’actualité récente une résonnance dramatique.
Réalisme ou science-fiction ?
J’ai avalé les 250 pages en à peine deux/trois jours. Il me faut presque plus de temps pour en écrire le compte rendu ! Ce qui a le plus capté mon attention, c’est le réalisme – voire le prosaïsme – avec lequel l’auteur décrit l’enchaînement des évènements. Le suspense ne naît pas de l’imprévisibilité du désastre – il est annoncé dans le titre – mais de la façon dont les autorités, la communauté scientifique, les lobbies, etc, réagissent et s’organisent face à l’inéluctable. Le roman est découpé en plusieurs parties : il commence par la découverte, par un petit groupe de scientifiques, de phénomènes inquiétants, avec l’intuition de ce qui pourrait se produire à un horizon plus ou moins proche ; il se poursuit avec une période de flottement, voire de panique, des autorités, qui pinaillent sur des détails au lieu de s’organiser efficacement ; puis arrive ce qui doit arriver.
C’est d’autant plus intéressant que le roman a été publié en 1973, et qu’il se situe dans un contexte particulier, autant sur la plan intérieur (troubles politiques et sociaux), qu’extérieur (tensions avec les puissants voisins : Chine, Russie, et rivalité avec les Etats-Unis…). Plus qu’aux catastrophes et leurs conséquences, je me suis surtout intéressé à la description des milieux sociaux et politiques du Japon, ainsi qu’à la vision qu’on les Japonais d’eux-mêmes, ou pensent que les autres ont d’eux. En effet, La submersion du Japon décrit un pays au gouvernement paternaliste, et dont les centres de décision n’ont pas grand chose de démocratique : le rôle crucial que joue dans l’ombre le personnage de Watari, un gourou centenaire survivant des débuts de l’ère Shôwa (avant guerre), en est le symbole. Il y a aussi une description féroce des milieux d’affaires, baignant dans le luxe et la débauche, et surtout dans les alcools occidentaux. Tout cela m’a fait penser aux mangas des mêmes années 70 d’Osamu Tezuka (notamment la Femme Insecte). Plus curieux encore, certains passages, notamment celui où un diplomate cherche à obtenir l’aide du Premier Ministre de l’Australie, illustrent les contradictions et les clichés qui existent dans la perception du peuple Japonais par les autres nations : un pays nationaliste, belliqueux, orgueilleux, difficilement gérable, mais aussi un peuple docile, travailleur, techniquement avancé et qualifié, etc…
Pour l’anecdote, l’auteur, Sakyo Komatsu, décédé en juillet 2011, avait les honneurs d’une revue entièrement dédiée à son oeuvre. Dans une dernière interview, il confiait espérer vivre assez longtemps pour voir comment le Japon se relèverait du désastre de 2011. Un peu comme le mystérieux Watari, dans son roman…
A part ces considérations politiques et sociales, le roman s’attarde aussi sur des trajectoires personnelles, auxquels il est possible de s’identifier, rendant palpables les conséquences des évènements : il y a d’abord Onodera, « héros » typique, présent de la première à la dernière page. Pilote professionnel de bathyscaphe, il est aux premières loges dans les phases d’exploration, avant de jouer un rôle plus ordinaire de témoin des évènements. Tadokoro, le sismologue, est un personnage assez insaisissable, donc plus intéressant : ses motivations ne sont pas claires, et prennent une nouvelle dimension lorsque se rapproche la fin. Reiko, la jolie héritière, dissimule derrière un cynisme de façade une vraie quête de sens de la vie. De nombreux autres personnages, représentant les différentes strates de la population, sont autant de seconds rôles significatifs ; une mention spéciale pour Mayako, hôtesse de bar qu’Onodera rencontre au début du roman, et qui ne réapparaît qu’à la fin, pour un monologue aussi poignant qu’évocateur, en forme de parabole sur le Japon sans cesse renaissant…
Vous l’aurez compris, la Submersion du Japon m’a véritablement ému, et à condition de ne pas en attendre un simple divertissement en forme de roman-catastrophe, je pense que vous seriez séduits également. La traduction, qui remonte à 1977 (première édition française chez Albin Michel), m’a semblé un peu datée, par l’utilisation de certains termes pour le moins ringards (le curieux mot dopie au lieu de junkie, par exemple), mais cela renforce le côté « années 70″ et finalement, cela ne m’a pas gêné, au contraire. Le style est sobre, avec quelques métaphores simples et évocatrices. Une phrase qui m’a marqué, par exemple, parmi d’autres : « La terre continua de trembler plusieurs fois comme si elle voulait faire tomber l’obscurité elle-même. »
Je n’ai pas vu les deux longs métrages, dont le roman a été l’inspiration. Dès 1973, un premier film à grand spectacle était produit par la Toho, qui était également derrière le remake en 2006. En me basant seulement sur les bandes-annonces – que je vous propose ici en V.O. – j’ai la nette impression que le premier film est très fidèle au livre, puisque j’ai identifié chaque scène comme présente dans le roman. Evidemment, les effets spéciaux d’époque ont un fort côté Godzilla, mais pas mal fait, et puis la musique est belle, les acteurs ont l’air concernés et l’ambiance a l’air particulièrement dramatique. Le second film ferait presque l’effet inverse… Misant à fond sur les effets spéciaux numériques, il nous en met plein la vue, mais était-ce l’intention de l’auteur? Le film de 2006 se permet apparemment plusieurs écarts par rapport au scénario d’origine, en y ajoutant des personnages certainement héroïques, à la limite du cliché, notamment une femme-pompier dont il n’est jamais question chez Sakyo Komatsu.
日本沈没 1973 :
(comme je me la pète à mettre des caractères que je ne sais ni lire ni prononcer)
Version 2006, pas la B.O. mais un montage des scènes de catastrophes :
Le manga, pour ce que j’ai pu en feuilleter (c’est-à-dire des scans de l’original en japonais, l’édition française par Panini ayant été stoppée après le tome 3 sur 15, série finie au Japon) m’a semblé s’écarter pas mal de l’oeuvre originale, en replaçant la Submersion du Japon à notre époque (c’est-à-dire les années 2000), et surtout en multipliant les intrigues secondaires faisant intervenir des personnages inventés pour l’occasion. C’est à travers ces personnages, jeunes et ordinaires pour la plupart, que le lecteur du manga vit les séismes, à différents endroits du pays. Le parti-pris de modernisation est intéressant, surtout qu’il s’appuie sur un dessin très particulier, souvent crayonné (un peu comme les harmony cels dont parle Tetho sur son blog au sujet des anime) pour accentuer les effets dramatiques. D’ailleurs bien sûr, les scènes-choc abondent (voir ci-contre, la couverture du tome 6). Le dessinateur est Tokihiko Ishiki. Le manga semble également mettre l’accent sur la pédagogie, en proposant des schémas et des graphiques pour expliquer les grandes théories de la tectonique des plaques, du rift océanique, etc… Vraiment, dommage que la parution française se soit arrêtée, et que je ne pige pas un mot de japonais, j’ai trouvé ce seinen bien fait. J’en ai tiré quatre planches pour illustrer cet article.
En attendant, je recommande grandement la lecture du roman, qui est à ce jour une des plus marquantes que j’ai pu faire dans la littérature japonaise. Court, dense, percutant, et posant de nombreuses questions, il pousse jusqu’à son paroxysme des situations qui, hélas, se reproduisent périodiquement dans l’histoire du Japon. Pour qui veut connaître les peurs enfouies dans l’imaginaire collectif nippon, c’est une lecture indispensable.
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A noter que le second film a été réalisé par Shinji Higuchi, un des membres fondateurs du studio Gainax (tristement célèbre pour avoir suppléé Hideaki Anno sur le passage le moins intéressant du néanmoins génial Nadia et le Secret de l’Eau Bleue). Le film a bénéficié d’un budget confortable, et un éditeur français opportuniste a sorti le DVD et le BRD quelques mois après le tsunami de 2011, avec une accroche de mémoire bien dégueulasse.
J’aurais bien lu le manga, mais bon… Panini Comics, fidèle à lui-même… J’ignorais même jusqu’à l’existence de ce titre avant que tu en parles.
correction : en fait, c’est après deux tomes que la parution a été stoppée par Panini… le troisième était seulement « annoncé ». sympa pour ceux que ça aurait pu intéresser…

Correction 2 : je me suis laissé tromper par la fiche manga news du manga : le dessinateur n’est pas Ken Ishikawa, mais un certain Tokihiko ISHIKI, sur lequel je n’ai rien trouvé d’autre pour l’instant. faut que je corrige l’article :-/
Rah j’avais bien failli l’acheter ce roman mais j’ai pris à la place les deux tomes d’Ikebukuro West Gate Park qui étaient à côté, je crois que je vais devoir y retourner!
je te le recommande, mais moi de mon côté, c’est Ikebukuro West Gate Park qu’il faut que j’achète !