Festival Adekan

Adekan
(Kokan Shijiki Adefubuki)
de Tsukiji Nao
Shinshokan, 2008-2012
5 volumes VO parus
Ototo, 2012
4e tome VF paru le 13 décembre 2012

L’histoire :
Dans une ville indéterminée, à l’ère Meiji. Kojirô, un jeune et intrépide lieutenant de police, enquête sur une étrange série de meurtres : au « pont de la mariée », des corps de jeunes femmes sont découverts, horriblement mutilés. Au début de son investigation, il fait la connaissance de Shirô, marchand de parapluies de son état, qu’il décide de garder à l’œil, en raison de sa conduite scandaleuse : il a la fâcheuse tendance de se promener à demi nu parmi le voisinage, en prenant des poses lascives. Mais derrière cette apparence trompeuse, Shirô se révèle être en réalité un redoutable maître d’armes, et c’est grâce à son habileté à l’arme blanche que Kojirô parvient à vaincre et à capturer un dangereux criminel… Ayant résolu ensemble l’affaire du « pont de la mariée », Kojirô et Shirô vont conjuguer leurs talents au cours de nouvelles affaires toujours plus morbides et inquiétantes, tandis que se noue entre eux une relation ambigüe, pleine de quiproquos embarrassants pour le jeune policier.

Ce que j’en pense :
Sans les conseils avisés de l’équipe d’Ototo et Taifu, je ne serais peut-être pas allé de moi-même vers cette série, en raison de ses couvertures au style shojo très appuyé. Et c’eût été fort dommage, car je serais ainsi passé à côté d’une série au fort potentiel, foisonnante de multiples références, et aussi réjouissante qu’inclassable.

Inclassable est en effet le premier qualificatif qu’on peut appliquer à Adekan : techniquement, c’est un shojo, car pré-publié à l’origine dans Wings, le magazine shojo de Shinshokan (où ont été pré-publiés Tokyo Babylon, RG Veda, The day of revolution…). L’intrigue policière et sombre rattache en revanche Adekan au rayon seinen, c’est d’ailleurs le choix qu’a fait de l’éditeur français, Ototo, pour le distinguer des autres parutions yaoi ou shojo de son catalogue. Car enfin, visuellement, c’est plutôt un yaoi, si on regarde les looks des protagonistes masculins, mélange de bondage et de travestissement, leurs corpulences graciles et féminines, et leurs poses alanguies et provocantes à répétition. Sans compter leurs relations, officiellement amicales et viriles, mais prétextes à des scènes de nus équivoques.

Shojo, seinen ou yaoi, finalement aucune de ces étiquettes ne suffit à définir Adekan, qui se distingue avant tout par un design profondément original : bien que reprenant tous les tics du langage manga (super-deformed, kawaii, emoticons d’expression…), le dessin est fouillé, sophistiqué, artistique, certains plans travaillés comme des gravures de Gustave Doré, de M.C. Escher ou de Salvador Dali (références évidentes dans certaines cases). Par moment, les scènes sont franchement oniriques. C’est un véritable plaisir pour les yeux, de voir se mélanger des éléments de décors ou de costumes évoquant à la fois le Japon traditionnel, le style britannique victorien, le « steampunk », le rococo, le kitsch, etc… n’en jetez plus. Cela pourraît d’ailleurs paraître franchement surchargé, mais le trait est léger, et les silhouettes sont grâcieuses. L’utilisation habile des trames donne contraste et profondeur à l’ensemble, du grand art.

L’intrigue n’est pas la qualité principale d’Adekan. Conan Doyle et Edgar Poe sont certes convoqués pour mitonner des ambiances policières rétro, teintées de fantastique, mais sans la rigueur de Sherlock Holmes. Ce n’est pas grâce à leurs qualités de déduction que Kojirô et Shirô résolvent les affaires, mais grâce à leur audace (voire à leur inconscience), à leur habileté aux armes et à une bonne dose de chance. En outre, si les chapitres consacrés aux enquêtes se laissent lire avec plaisir, ceux consacrés à l’intrigue de fond se perdent dans des méandres alambiqués difficiles à suivre, et surtout peu crédibles : une sorte de société parallèle où s’affrontent des clans pour le contrôle de je ne sais quelle drogue dotant les êtres de capacités surnaturelles, les transformant en sortes de super-combattants zombies? Je n’ai pas tout compris, on verra les tomes suivants.

Cela passe toutefois assez bien, grâce à un rythme soutenu et un humour de tous les instants, très second degré, qui allège les ambiances torturées et la violence de certaines scènes. J’ai noté au passage des clins d’œils explicites à Hokuto no Ken et à Dragon Ball. L’humour repose essentiellement sur le couple Kojirô & Shirô, le second multipliant les situations scabreuses auxquelles le premier se laisse prendre naïvement. Toutefois, ces scènes apparemment tendancieuses tendent plus à parodier le genre yaoi qu’à le cultiver : tout est tellement too much que cela ne peut être décemment pris au sérieux. Ouf.

L’édition est soignée : pas de pages couleurs introductives, mais des mini-posters dépliants en début de volume permettent d’admirer le style visuel de Tsukiji Nao, dont Adekan  est semble-t-il une des toutes premières œuvres. De courtes histoires annexes comiques complètes les volumes, dans la continuité auto-parodique de l’ensemble. Et sachez qu’il est intéressant de regarder sous (non, je ne parle pas des jupes) les jaquettes des volumes, puisque des gags additionnels sont imprimés à même la couverture cartonnée, y compris sur le dos !

En dépit de ses imperfections dans la narration, mais avec son côté inclassable, son humour omniprésent et ses graphismes fascinants, Adekan est donc pour moi une série tout-à-fait hors normes, une vraie découverte, et c’est avec curiosité que je vais continuer à la suivre, en espérant qu’elle ne va pas se perdre sur si bon chemin.

(P.S. Je remercie Ototo pour m’avoir gracieusement remis ce manga en SP.)

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2 Responses to Festival Adekan

  1. Tama says:

    Je me rappel avoir été intrigué par ce titre car j’avais bien aimé quelques histoires courtes du même auteur.
    Autant j’adore le dessin, le détail, l’ambiance qu’il apporte et l’univers, autant j’ai trouvé le fond de l’histoire très bof. Les pauses lascives à répétition me semblent plus là pour satisfaire un plaisir de dessinateur qu’un autre plus graveleux. Il semblent répondre à une esthétique toute personnelle qui déforme les corps à outrance parfois jusqu’à l’absurde et qui me rappel la grande Odalisque d’Ingres.
    Moi qui suis pas fan du yahoi, ça ne m’a pas gêné plus que ça, par contre l’humour est parfois un peu lourd (le port de sous vêtements) et le fond répétitif. Shiro est censé être un redoutable combattant mais a une tendance naturel à se retrouver dans le rôle de la cruche qui se fait capturer et finit à moitié à oilp sans raison…

  2. Pingback: Petit panier de manga - spécial shôjo - Ma petite Médiathèque

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