The Sky Crawlers : les romans

The Sky Crawlers
& None But Air
de Hiroshi Mori
Chuokoron-Shinsha / Kodansha, 2004-2005
Glénat, 2010-2011
environ 210 pages

L’histoire :

Un demi-siècle après le second conflit mondial, les nations ne se font plus la guerre. Un nouvel ordre a été instauré, et pour que règne la paix, les pulsions belliqueuses de la société sont cantonnées à une guerre privée, mise en scène entre compagnies privées rivales. L’arène de ces nouveaux gladiateurs est le ciel, où les pilotes de chasse professionnels se livrent à des duels sans pitié, sur des avions à hélice vintage. Certains de ces pilotes, appelés kildren, sont des garçons ou des filles à l’éternelle adolescence, sur lesquels planent une aura de mystère. Qui sont-ils exactement ?

« Qui suis-je » , c’est justement la question que commence à se poser Kannami, un kildren aussi doué que taciturne, lorsqu’il prend sa nouvelle affectation à la base dirigée par le commandant Kusanagi – une kildren elle aussi. Kannami aimerait bien aussi connaître le sort du pilote qu’il vient remplacer. A-t-il été muté ? A-t-il disparu en mission, en combat ou accidentellement ? En proie au doute dès qu’il est au sol, Kannami ne se sent vraiment libre qu’en vol, surtout lorsque sa main droite, celle qui tient le manche et déclenche les mitrailleuses, semble s’animer d’une vie propre. Il est également de plus en plus intrigué par Kusanagi, chez qui il retrouve la même passion du vol, et les mêmes contradictions…

Une adaptation à l’arrêt

Après vous avoir livré mes impressions sur le film réalisé par Mamoru Oshii, je m’étais promis de lire les deux romans traduits (sur 6 écrits, série terminée) de Hiroshi Mori, alors récemment publiés chez Glénat. J’ai mis le temps à réaliser ce souhait puisque je n’ai acheté The Sky Crawlers et None But Air que cet été, pour les lire dans la foulée. Tout d’abord quelques précisions pour bien s’y retrouver.

La série de romans The Sky Crawlers se compose de 6 volumes, écrits par Hiroshi Mori, un spécialiste du light novel, auteur de dizaines d’ouvrages vendus à des dizaines de millions d’exemplaires (certains adaptés en manga, chez Soleil). L’ordre de parution des 6 volumes ne correspond pas à l’ordre chronologique de l’intrigue : le premier titre, The Sky Crawlers, qui donne son titre à l’ensemble de la série (et dont a été adapté le film d’Oshii), en est aussi la conclusion. Si on doit numéroter les tomes, il sont donc parus dans l’ordre suivant :
- tome 6 : The Sky Crawlers, 2001
- tome 1 : None But Air, 2004
- tome 2 : Down to Heaven, 2005
- tome 3 : Flutter into Life, 2006
- tome 4 : Cradle the Sky, 2007
- tome 5 : Sky Eclipse, 2008.

L’adaptation française, réalisée par Glénat pour sa collection « romans », a été annoncée sur de nombreux médias et partait sur des chapeaux de roues, avec The Sky Crawlers en septembre 2010 puis None But Air moins de 9 mois plus tard, en juin 2011, mais depuis plus rien. Aucune annonce d’une traduction prochaine de Down To Heaven, et on doit se contenter de réponses vagues à questions lors d’interviews déjà anciennes, d’où il ressort, si on lit entre les lignes, que Glénat n’a pas officiellement laché l’affaire, mais que ça y ressemble. Parce que franchement, s’abriter derrière le calendrier de parution manga sous-entend au mieux qu’ils n’ont pas mesuré, en lançant leur collection « Glénat romans », le travail que cela allait représenter. Plus prosaïquement en ces temps de crise, j’imagine qu’un roman Sky Crawlers est un peu moins vendeur qu’un roman One Piece… Nous sommes en 2013 et cela sent l’abandon de série (mais j’aimerais vraiment que Glénat démente !).

Par ailleurs, l’adaptation française reprend une tendance agaçante des éditeurs français en matière de light novels : elle ignore complètement les illustrations originales, comme ce fut également le cas pour Hachette avec la Mélancolie de Haruhi Suzumiya. Problème de droits ? Choix éditorial assumé ? C’est d’autant plus dommage que les dessins de la version originale, très beaux (voir ci-dessus et ci-après), sont de Kenji Tsuruta, connu chez nous pour deux superbes one-shots (Forget-me-not, et Spirit of Wonder, tous deux chez Casterman). Tsuruta possède un style à la fois réaliste et artisanal, plus sensuel, plus vibrant que les djeun’s à frange du chara designer du film Tetsuya Nishio (GITS Stand Alone Complex, Naruto Shippuden). Certes, le changement de look fonctionne bien dans le film, grâce à une animation de grande qualité, mais sur une couverture de roman, ça fait franchement tristoune. J’imagine que ce choix s’explique par la volonté de surfer sur le succès du film d’Oshii. Choix qui risque, accessoirement, de poser un problème lorsqu’il faudra trouver un visuel pour l’hypothétique tome 3 : il ne sera plus possible de puiser dans le visuel de la 4ème de couv.

Enfin, je vais mettre de côté les problèmes d’adaptation (j’ai déjà été plus long que je le prévoyais) pour parler du texte proprement dit.

Ce que j’en pense :

Ayant vu et apprécié le film, et sachant pertinemment que la fin du roman diffère du long-métrage d’Oshii, j’ai préféré opter pour l’ordre « chronologique » et lire en premier lieu None But Air. C’est, à mon avis, le plus intéressant des deux romans. Je pense également qu’il n’est nul besoin d’avoir vu le film pour l’apprécier.

L’intrigue de None But Air se situe plusieurs années auparavant. Le pitch : Suito Kusanagi (ci-contre) n’est pas encore officier, mais elle est déjà une pilote d’exception. Lorsqu’après une mutation, elle a enfin l’occasion de faire équipe avec le Teacher, un pilote aux innombrables victoires, elle ressent pour la première fois de l’intérêt pour… un adulte (c’est-à-dire, pas un kildren). Derrière ce qui ressemble, ainsi présenté, à une intrigue sentimentale, j’ai trouvé un récit qui m’a pris par surprise : c’est en quelque sorte le journal intime de Kusanagi (elle est la narratrice), écrit de façon sobre, précise, sans pathos. Elle livre certains de ses secrets les mieux enfouis, remontant à son « enfance » , qui expliquent la personne qu’elle va devenir quelques années plus tard, jusqu’à la conclusion de la série. Impossible d’en parler sans spoiler, donc je zappe le contenu ; de toute manière, il n’y a pas dans None But Air de révélations majeures sur le contexte, les causes, ou l’organisation de la guerre aérienne. Quelques indices sont parsemés ça et là, mais le principal intérêt réside je trouve dans le récit à la première personne de Kusanagi, donnant quelques clés sur sa personnalité complexe, ainsi que sur ses rapports avec les autres.

Le récit prend une dimension étonnamment lyrique lors des scènes de vol, superbement transcrites, avec des phrases courtes et percutantes, qui décomposent les manœuvres aériennes et les phases d’attaque avec une précision toute… militaire. Et pourtant c’est vivant, poétique, même. Un exemple :

L’ennemi ouvrit le feu à nouveau.
Je m’esquivai vers le bas juste avant.
Nous nous croisâmes.
Danger, danger.
L’ennemi fonça droit sur Higasawa.
Etait-ce elle qu’il visait depuis le début?
Attends voir.

Notez que cette manière de raconter est propre à None But Air, puisque dans The Sky Crawlers, on change de narrateur pour le jeune Kannami, comme si l’auteur, Hiroshi Mori, voulait restituer non seulement une différence de point de vue, mais également une différence de ton…

The Sky Crawlers semblera plus familier à ceux qui ont vue le film d’Oshii, car le scénario du film respecte plutôt scrupuleusement l’intrigue du roman, excepté le dénouement, très différent. Les personnages sont tous présents ou presque, la différence majeure étant le mécanicien en chef, qui est un homme dans le roman, une femme dans le film ; présent également dans None But Air, sont rôle est fondamental, à la fois pour ce qui est du développement des avions (partie bien plus intéressante que ce à quoi je m’attendais) et pour son influence sur Kusanagi : on peut dire qu’il est son seul « ami », si le terme possède un sens pour une kildren. Probablement parce qu’ils se connaissent et se respectent depuis des années.

Il y a aussi une différence d’atmosphère entre le film et le roman. C’est d’autant plus flagrant quand on connaît les deux fins. Si le roman demeure assez sérieux, il n’en décrit pas moins la vie quotidienne des kildren au sein et hors de la base, avec un certain calme, presque avec banalité. La tension y croît petit-à-petit, mais sans atteindre le climax qu’Oshii parvient à donner à son film. La raison en est, à mon avis, qu’Oshii imprime sa marque de manière évidente, en insistant sur les contrastes entre scènes d’action et de contemplation (tout comme dans Avalon, GITS, Innocence, les deux Patlabor…), et qu’il y introduit certaines de ses obsessions : paysages urbains déserts mais hantés (les scènes se situant dans une ville polonaise, totalement extrapolées par rapport au roman), érotisme suggéré, usage de la litote… Le film est aussi une variation sur le mythe de l’éternel retour, là où le roman introduit une rélfexion plus existentielle sur le droit de vie et de mort, sur la violence, et sur l’incompréhension entre l’adolescence et la vie adulte. Dans les romans, les héros sont clairement à la recherche de leur propre mort, qui seule peut donner un sens à leur existence. Notez, est-ce une coïncidence, que le terme kildren sonne comme « kill » … Dans le film d’Oshii, il existe un autre échappatoire…

C’est aussi pour ces raisons que j’ai trouvé None But Air le plus réussi des deux romans, car il ne souffre pas de la comparaison permanente avec le film. L’absence des illustrations de Tsuruta accentue, à mon sens, le réflexe de la comparaison. Et surtout, il est centré sur Suito Kusanagi, personnage bien plus fascinant que le falot Kannami.

Vous aurez remarqué que je m’abstiens de toute interprétation ou explication sur le contexte historique, politique ou stratégique des romans. Pour cela, je vous renvoie volontiers à la chronique du Dino Bleu, Guilhem y résumant à mon avis l’essentiel sur ces sujets. En attendant je vous recommande la lecture des deux romans, surtout None But Air vous l’aurez compris, mais les deux valent le coup car ils sont les parties d’un tout qu’il me tarde, avec assez peu d’espoir, de voir intégralement adapté chez nous.

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12 Responses to The Sky Crawlers : les romans

  1. Tama says:

    Je possède les deux romans ainsi que le film (pas vu). J’avais entamé « the sky crawlers » mais avait abandonné faute de temps et le fait de ne pas avoir accroché plus que ça. Non pas que le roman soit mauvais en soit, juste que je sentais une sorte de vide en le lisant. En partie dû au héros justement. Il faudrait que je m’y remette avant de visionner le film. Globalement, j’aime le travail de Hiroshi Mori, j’ai justement 2 mangas publiés chez soleil que j’avais particulièrement apprécié.
    Apparemment le roman, enfin le light novel japonais, marche pas terrible. J’ai « Library wars » aussi, qu’ils ont pousser jusqu’au tome 3 et depuis pareil, silence radio…ce qui sent pas bon.
    Mais que se soit l’un ou l’autre ça m’embêterai de ne jamais voir la fin de l’histoire :/

    • mackie says:

      je n’ai pas vu bcp de retours très enthousiastes au sujet des romans Library Wars. les as-tu lus?

      • Tama says:

        J’ai lu le premier et j’avais entamé le second mais là aussi j’ai arrêté pour les mêmes raisons que pour « the sky crawlers »
        Honnêtement ça se lit sans trop de difficulté par contre il faut arriver à accepter le contexte, j’ai lu des critiques qui justement avait du mal avec cet univers. Ce n’est pas la première fois que l’on écrit quelque chose où il est question de censure du livre mais j’imagine que le traitement peu paraître maladroit…
        L’autre point noir est l’héroïne : une femme dans un corps armée pour la défense des bibliothèques ça pouvait donner quelque chose et l’auteur nous donne une grande godiche très culcul. J’ai rien contre le contraste, mais là c’est très poussé et le niaiseux à tendance à l’emporter (surtout qu’elle pleurniche beaucoup et que l’on a l’impression qu’elle ne prend pas vraiment de plombs dans la cervelle). J’avais fini le premier roman rapidement sur une bonne impression en passant outre certains défauts (je suis plutôt bon public) mais par contre le second roman m’avait semblait lourd et l’héroïne agaçante. Donc je peux tout à fait imaginer que ça ne passe pas auprès de la plupart des gens.
        Mais vu que les romans ont été adapté en anime (sorte de gros résumé très rapide des romans sans développement) et en manga version shonen/shojo (c’est celui ci que l’on a publié chez nous). Peut être que ça passe mieux sur d’autres supports ?

  2. Bidib says:

    un light novel que j’ai envie de lire aussi, depuis un moment
    Je suis bien d’accord avec toi, les illustration d’origine sont bien plus intéressantes. La couverture française ne donne pas très envie. C’est surtout le résumé qui m’avait attiré.

    Quant au film, je ne l’ai pas vu ! Si je veux lire le roman, vaut peut-être mieux que je remette ça à plus tard

    • mackie says:

      l’inconvénient de lire les romans après avoir vu l’adaptation cinéma, comme toujours, c’est que l’image s’impose à l’imagination, et ici, en plus, les fins diffèrent.
      ceci étant, il faut voir le film en tant qu’oeuvre de Mamoru Oshii à part entière, et non en tant qu’adaptation – de la même façon qu’il s’est approprié Patlabor et Ghost in the Shell.
      je suis justement en train de regarder la série Patlabor, et force est de constater que si elle est sympa à regarder, cela n’a rien à voir avec les films qu’Oshii en a tirés. Oshii fait du Oshii.

  3. inico says:

    Pardon pour ce petit hors-sujet, mais comme tu as cité Oshii vs Patlabor.
    J’ai également commencé récemment la série.
    Tu as peut-être déja l’info, mais Oshii a scénarisé les épisodes 3, 9, 14, 29 et 38 de la série. Tous très drôles (dans le ton de la série en fait, série dont j’adore d’ailleurs l’humour « sain et simple » – comme on en retrouve rarement aujourd’hui) et tous abordant à un moment ou à un autre la nourriture. Jusqu’au paroxysme du 29, un thriller tournant autour d’une livraison de repas (on accrochera ou on passera – j’appartiens au premier cas).
    L’occasion encore une fois de souligner que Oshii à milles envies et amours contradictoires, et qu’il se plaît autant dans la contemplation et les discours politiques, que dans l’humour bon enfant et les jolies poupées armées.
    Voir les bonus d’Avalon où il parle avec autant d’amour de la chienne utilisée pendant le tournage que du Tank qu’il a eu l’occasion de piloter.

    • inico says:

      … quand à Sky Crawlers… J’ai vu le film par des biais pirates, que j’ai adoré. Mais il y a trop longtemps. Erreur corrigée – je viens de commander le Blu-Ray ^^.
      Le(s) roman(s) ne m’a par contre jamais tenté, au contraire de Blood. Et, pardonne ma franchise, ton article n’attise aucune envie suffisante pour me faire revenir sur cet avis. Je vais aller voir chez Guilhem si ce dernier suscite une curiosité susceptible de me faire mentir.

  4. Hana says:

    J’ai vu le film que j’ai trouvé pas mal malgré quelques longueurs, et les romans sont restés dans un coin de ma tête depuis… Mais ça me donne envie de les remettre d’actualité tout ça !
    A bientôt =)

  5. Mars says:

    Très jolie exposé qui me donne envie de lire les livres.

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