Duds Hunt & Reset

Duds Hunt (2004)Reset (2006)
de Tetsuya Tsutsui
Ki-oon

Deux one-shots du même mangaka, deux seinen aux illustrations de couverture intrigantes, et qui se répondent, deux titres édités avec soin par Ki-oon (format élargi, jacquette en papier renforcé gaufré) : assez de qualités pour attirer l’oeil et décider mon achat, bien que je ne me souvienne pas en avoir entendu parler auparavant. Pour pallier mon ignorance, il se trouve que l’Animeland de ce mois de décembre propose une interview de Tetsuya Tsutsui, annonçant la parution prochaine (2012) de son prochain titre : Prophecy. L’interview confirme une tendance forte que j’ai observée en ouvrant Duds Hunt et Reset : la base du scénario est similaire, seules les modalités et les personnages changent. Dit comme ça, ça semble gênant : à quoi bon lire deux fois la même histoire? Et pourtant, cela fonctionne très bien dans les deux cas. Je m’explique :

L’idée de départ : la victime d’une greave injustice mûrit lentement mais sûrement une vengeance implacable contre ses (supposés?) bourreaux. L’outil de cette vengeance est un jeu, qui se joue en réseau, et dont le but final est la mort de ses participants. Game over.

Dans Duds Hunt, l’histoire est racontée du point de vue de Matrak (à gauche), un délinquant qui a purgé sa peine de prison, et qui traîne son insociabilité dans un job pourri de réinsertion. Il est contacté par un mystérieux correspondant anonyme, qui lui propose un jeu d’argent : sur un terrain défini, en ville, et pendant un temps imparti, le joueur doit éliminer les autres participants en leur subtilisant leur portable. S’il n’y arrive pas, il doit au moins éviter de se faire voler le sien avant la fin de la partie. Un prime est accordée proportionnellement aux objectifs atteints. Matrak se révèle rapidement un « excellent » joueur : ultra-violent et doué pour le combat urbain, il élimine à sa façon un maximum de rivaux et gagne beaucoup d’argent. Oui, mais qui organise ce jeu? Avec quel argent? Et dans quel but?

Dans Reset, « Dystopia » est un jeu social de réalité virtuelle, où tout est possible, y compris mourir et ressusciter plusieurs fois. Un message s’imprime alors à l’écran : « Votre vie est un échec. Appuyez sur Reset ». C’est la seul règle apparente. Certains participants fondent un club de suicide, pour expérimenter toutes les manières, de préférence les plus saignantes, de se donner la mort. D’autres préfèrent jouer aux snipers, ou aux tueurs en série, et mènent de véritable traques contre les autres joueurs. L’autre particularité de « Dystopia » est que c’est un jeu clandestin, localisé sur un seul serveur, et seulement connu par le bouche-à-oreille, entre les habitants d’un même quartier d’immeubles. Et rapidement le jeu dérape. Parmi, les joueurs, qu’ils soient des « suicidés » ou des « assassins », se développe une épidémie de suicides dans la vie réelle…

Des jeux mortels, de la manipulation, de la violence, et une perte progressive des repères sociaux : Duds Hunt & Reset offrent deux variations sur une même trame, et dont les conclusions plus ou moins ouvertes ne laissent pas beaucoup de place à l’optimisme. La seule véritable différence entre les deux intrigues, au-delà des détails et des décors, c’est le degré de légitimité (et encore, ça se discute) de la personne responsable de la conception et de l’organisation du jeu. Et la conclusion est grosso modo la même : ce qui distingue culpabilité, responsabilité, et innocence est tellement ténu, que dans le monde virtuel, il se trouvera toujours un juge pour en décider à votre place. Pas très réjouissant, tout ça…

Si Duds Hunt fait dans la sobriété et l’efficacité, en privilégiant les scènes d’action spectaculaires (combats de rue sans pitié), il faut souligner l’habileté de la construction, qui s’accompagne d’un changement progressif dans la distribution des rôles : en tant que chasseur, le personnage principal acquiert tout d’abord une compétence malsaine, avant de devenir proie à son tour… Renversement qui est inscrit dans la règle même du jeu Duds Hunt : survivre à la partie en cours. Cela aboutit à une fin que je trouve particulièrement dérangeante, avec une morale que je qualifierais au mieux de douteuse, si on la considère au premier degré.

La réponse à mon interrogation, en fait, se trouve dans Reset. Plus mystérieux au démarrage, plus psychologique, plus développé (et plus long), il mène vers une résolution du dilemme que posait Duds Hunt : de quel droit rend-on la justice? Au nom de quoi? Reset pose les enjeux dès le début : il y a des morts et une enquête de police. Cela prend la forme d’une traque dans la réalité virtuelle, en introduisant une nouvelle sorte de joueur, qui n’est ni chasseur ni proie, mais enquêteur. Plus finement, également, l’intrigue est vue des yeux d’un personnage féminin, la jeune veuve d’un salaryman qui se suicide dans les premières pages. Ni trop moche ni trop jolie, confrontée à une histoire qui la dépasse, elle est le témoin passif d’un déchaînement de violence virtuelle qui remet en cause tous ses repères, et la questionne sur elle-même et sur sa relation à autrui. Notamment, elle se rend compte, au début, qu’elle ignorait tout ou presque de son propre mari… A mon avis Reset possède également une qualité graphique supérieure à Duds Hunt, pourtant déjà très réussi sur ce plan (mais plus convenu, plus claustrophobe dans la violence). Il réussit notamment à donner à voir l’univers virtuel, sans esbrouffe ni effets faciles à la Matrix, par des détails bien pensés, comme la « texturation » des surfaces, ou comme certains effets de métamorphose. En cela, il fait ressentir efficacement l’inquiétant mélange de familiarité et d’étrangeté de l’univers de « Dystopia ».

En résumé, Duds Hunt et Reset sont pour moi d’excellents thrillers, bien menés et prenants, intéressants pour eux-mêmes et pour les questions qu’ils posent, mais aussi pour la possibilité qu’ils offrent de mesurer la maturation d’un auteur. Justement, dans son interview, Tetsuya Tsutsui dit être attiré par les mangas où l’auteur cherche à transmettre un message, ce qui devient de plus en plus rare selon lui dans le marché actuel. Je n’ai pas lu Manhole, dont certains disent qu’il est moins réussi que les deux one-shots, mais j’attends avec curiosité la parution prochaine de Prophecy, annoncée sur le site de Ki-oon (pour la petite histoire, sachez que si Prophecy a déjà démarré en prépublication dans Jump X Kai, en fait Ki-oon reste l’éditeur principal qui valide les planches avant Shueisha… et en outre il conserve la primeur de la publication en volume). En attendant, je vous en propose le visuel promotionnel, assez intriguant, et toujours dans la même veine du thriller violent.

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6 Responses to Duds Hunt & Reset

  1. Méta says:

    Je me doutais que tu apprécierais les deux. Personnellement, j’ai une préférence pour Duds Hunt, plus accompli dans son déroulement et dans son ambiance. Reset est bien sûr très bon également mais il manquait un petit quelque chose. Enfin, ensemble, ils forment deux one-shot sur le même sujet et complets.

    Vivement le prochain :)

    • Mackie says:

      oui, comme je l’ai écrit chacun des titres a ses qualités. je reconnais que Duds Hunt est plus concentré, plus haletant, plus sombre. mais dans Reset j’ai apprécié la perte des repères, la créativité et l’enrichissement du thème initial par le point de vue d’autres personnages.

  2. Kaeru says:

    Et voilà… c’est ta faute. J’ai envie de me les relire… Alors que j’ai une PAL monstrueuse !!!
    Man-hole est très bien aussi dans un genre beaucoup plus glauque.. J’adore l’auteur. En plus, il est venu plusieurs fois en France *__*.

    Super Article, et belle analyse comparée !

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