One-shots de juin : Sad girl

Sad Girl
de Kan Takahama
Casterman, 2012

Pour une fois, ce n’est pas un manga à proprement parler que je vais évoquer aujourd’hui, parce que oui, si Kan Takahama est effectivement une mangaka ici fort estimée, c’est bien une bande dessinée qu’elle nous offre cette année, au sens où elle l’a réalisée spécialement pour Casterman et ses lecteurs occidentaux, au format et dans le sens de lecture d’une BD européenne. Ce n’est pas le premier projet « français » de Kan Takahama, mais les précédents, comme Deux expressos, ou l’Eau amère, pouvaient encore être qualifiés de mangas.

L’histoire :
Shiori Murakami se réveille dans un appartement dévasté, le sien, sans aucun souvenir de ce qu’elle a fait la veille. Fenêtres ouvertes aux quatre vents, boîtes de somnifères vides… Et son mari qui gît dans une autre pièce, en coma éthylique. Affolée, elle découvre que sa propre vie ne tient plus qu’à un fil, et ne sachant que faire, elle décide de disparaître… A la recherche d’un refuge, quel qu’il soit – chez une amie aussi droguée qu’elle, chez un ex aux abois, chez sa mère adepte d’une secte – et pour finir… finir, tout simplement ?

Une descente aux enfers ou une impossible quête de rédemption, à la recherche de son identité et des raisons profondes de son état – mais tout cela est-il bien réel?

Ce que j’en pense :
Portrait d’une jeune femme ayant perdu tous ses repères, Sad Girl est une réflexion sur les addictions, toutes quelles qu’elles soient : la drogue, l’alcool, le sexe, l’argent, la religion, mais derrière ce récit sans concession, l’auteur refuse de juger ses personnages, et ne cherche pas non plus à composer une thèse sur la société, qu’elle soit japonaise ou occidentale. Plus simplement, elle explore ses propres démons, ses craintes, avec angoisse et simplicité. Le récit sonne vrai, même si j’ai eu du mal à croire que le sort puisse s’acharner avec autant de hargne sur une personne aussi fragile. Bien entendu, des pistes sont proposées – perte du père, absence d’amour de la mère, égoïsme de l’entourage qui reflète son propre aveuglement… Et la drogue comme fuite en avant, qui frappe non pas une personne déjà marginale, mais qui fabrique une marginale à partir d’une femme mariée « normale ».

Cela pourrait être pesant, déprimant, carrément insupportable, mais Kan Takahama aime Shiori, et la tendresse de l’auteur pour son personnage transparaît dans chaque case, avec une absence d’effets et une rigueur dans la construction qui n’a d’égale que la poésie de certains plans. A noter que la philosophie bouddhiste imprègne la fin de l’ouvrage, de façon non dogmatique je vous rassure, mais tout de même comme une alternative à la vision matérialiste ou sectaire des autres personnages. Si Kan Takahama dit s’inspirer à la fois de Kenzaburo Oé et de Charles Bukowski, c’est bien la pensée japonaise plutôt qu’occidentale qui imprègne le récit de la dessinatrice.

Sorte de « Sans toit ni loi » nippon, Sad Girl est un récit qui m’a touché, et qui m’a effectivement un peu rappelé le film d’Agnès Varda. Ne cherchez pas dans ce roman graphique – vite lu, mais avec intensité – l’équivalent d’un manga existant. Kan Takahama dit vouloir s’adresser à tout le monde, sans se contraindre à une catégorie réductrice (bien qu’on pourrait la rattacher au seinen), et c’est sa liberté de ton et de style qui en fait la réussite. Vous l’aurez compris, j’espère : j’ai aimé.

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