Ce mois de septembre 2012, Soleil Manga a enrichi d’un coup sa collection Classiques de trois nouveaux titres : la Bible (en deux volumes : l’Ancien et le Nouveau Testament), Les Entretiens de Confucius (un volume, le second prévu pour le 23.04.13) et le Prince de Machiavel. Il faut remonter à septembre 2011, soit un an, pour les deux précédentes parutions, Guerre et Paix de Tolstoï et A la recherche du temps perdu de Proust. Je commençais à penser que la série était plus ou moins abandonnée, faute de succès. Même si je n’ai pas trouvé les autres titres aussi réussis que le Capital, c’est donc une bonne surprise que d’avoir trois nouveaux opus, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’adaptations d’œuvres philosophiques ou spirituelles, et non littéraires. La liste complète des titres parus au Japon dans la collection d’origine, Manga de Dokuha, comprend d’autres essais, de Descartes, Rousseau, Kant, Clausewitz, Adam Smith, Nietzsche, Darwin, Freud, Jung (et même Mein Kampf) et des livres religieux comme le Livre des Morts Egyptien, le Sûtra du Coeur, ce qui nous laisse pas mal de matière pour la poursuite de cette collection. J’ai acheté deux des trois nouveaux titres parus le Prince et les Entretiens de Confucius – je dois dire que la Bible m’a un peu rebuté à cause du dessin. J’ai eu le même souci avec le Manifeste du Parti Communiste, sinon j’ai lu – et diversement apprécié – le reste de la collection. Et pour commencer, en attendant les Entretiens de Confucius, dont je reparlerai lorsque j’aurai lu le tome 2, voici le Prince.
Le Prince
(Kunsharon)
de Machiavel
adapt. Studio Variety Artworks
East Press, Manga de Dokuha, oct 2008
Soleil Manga Classiques, sept 2012
En 1498, un certain Niccolò Machiavelli accède à la fonction de secrétaire à la chancellerie de la petite république de Forence. Il entre ainsi en politique. L’Italie vit alors ce qu’on appelle aujourd’hui la Renaissance : arts, idées, sciences sont en ébullition. Mais c’est aussi une période de guerres incessantes entre états, avec les grandes puissances étrangères (France, Espagne) en arbitres. Des hommes nouveaux émergent par la force des armes et de la politique, comme Laurent de Médicis ou César Borgia, et même le pape Jules II se conduit en véritable chef de guerre. De ses rencontres et de son expérience de la politique, Machiavel tirera la matière d’un ouvrage resté célèbre, le Prince, qui fera débat pendant des siècles jusqu’à nos jours pour la manière pragmatique et presque cynique avec laquelle il décrit les fondements et l’exercice du pouvoir. Jusqu’à donner naissance à un adjectif aujourd’hui courant : machiavélique.
Le Prince version manga n’est pas l’adaptation littérale du Prince de Machiavel. Ce manga aurait plutôt du s’appeler « Machiavel et le Prince » vu le choix d’adaptation qui a été fait : les deux tiers sont consacrés à la biographie de Machiavel et à sa rencontre avec César Borgia, qui est déterminante pour ses idées, présentées elles dans le troisième tiers. C’est un choix excellent, qui évite l’écueil de la sécheresse et permet au lecteur moderne de comprendre Machiavel à travers sa biographie, et la genèse de sa pensée politique. Il est construit un peu à la façon de l’adaptation du Capital de Marx et Engels, avec de nombreux schémas didactiques, simples à comprendre, et en le replaçant ainsi dans le contexte historique (en remontant jusqu’à Charlemagne), grâce à des situations concrètes, il le débarrasse des accusations de machiavélisme qui lui collent à la peau. Machiavel expérimenta la politique dans une situation de crise intense, de guerre civile, et trouva en César Borgia non pas un modèle à suivre, ni même un objet d’admiration, mais un exemple pratique d’homme d’État au travail, faisant des choix dans l’action, prenant des décisions, et prenant de la hauteur par rapport aux situations et aux rapports de force. C’est ainsi que le Prince est un livre moderne, parce qu’il n’est pas un ouvrage de philosophie, mais bien de science politique.
Le manga est donc à la fois une introduction à ce livre illustre, et finalement mal connu, et la chronique historique d’une période essentielle de l’histoire de l’Europe, d’autant plus intéressante qu’elle est racontée par des japonais, qui n’ont pas d’a priori patriotiques sur les intervenants aux conflits. A ce titre, d’ailleurs, la France en prend pour son grade, à travers le manque de discernement de ses rois Charles VIII et Louis XII, auxquels Machiavel oppose la figure de César Borgia, autrement plus habile et lucide. Le dessin est comme à l’habitude assez impersonnel, mais jamais moche. Il est clair, parfois simpliste, mais bien fait, les personnages sont bien caractérisés (Machiavel bien sûr, mais aussi Borgia et le pape Jules II) et la construction, comme je l’ai déjà souligné, très efficace. Pour ceux qui connaissent, je le rapprocherai également du style de Manga Science, série hélas abandonnée par Pika.
Pour ces raisons, à mon avis, ce titre se place aisément parmi les meilleurs de la collection Classiques de Soleil Manga, et même au niveau du Capital, ce qui n’est pas peu dire. Il est probable que le sujet rebutera bien des acheteurs potentiels, car il ne bénéficiera pas du capital (huhu) sympathie et curiosité du livre de Marx et Engels. En plus, le fait de le faire paraître en même temps que les Entretiens de Confucius et la Bible ne risque-t-il pas de le mettre en retrait? J’espère que non, car ce serait dommage…
Pingback: Le capitalisme pour les nuls, chez Soleil Manga | Les chroniques d'un newbie
Concernant la bible il existe une autre édition en 3 tomes que celle de Soleil par les éditions BLF, qui est une maison d’édition protestante, ce qui apporte des différences tant au niveau du dessin que du contenu. Celle ci est dans un format plus grand et en couleur ( ça fait toujours bizarre de voir des protagonistes de la bible avec des cheveux multicolores mais passons…), je suis pas non plus très fan du dessin (mais les deux dessinatrices sont sorties de grandes écoles m’a t-on dit donc bon).
Pour avoir discuté avec le responsable pendant le dernier salon du livre, celui ci était impatient de voir la version Soleil.
Je n’ai pas beaucoup de titres dans cette collection classiques. Certains titres étaient sympa mais l’aspect « résumé d’oeuvre » avec un dessin parfois malhabile me rebute un peu mais justement d’autres comme « le prince » m’intéressent par leurs contenus, donc quelque part ça me rassure ^^
je ne sais pas à quoi m’attendre avec la bible version Variety Art Works, mais ce ne sera certainement pas comme celle des éditions BLF, qui est un éditeur qui utilise le manga pour diffuser le message de la bible.
c’est une démarche d’éditeur croyant (BLF adhère à l’église évangéliste de France), et qui n’en fait pas mystère, ce que je critique pas car c’est en soi respectable, mais du coup, ça ne peut pas trop se comparer.
quand à l’aspect résumé d’oeuvre de la collection « classiques » de Soleil, c’est inévitable, tout dépend la qualité de l’adaptation, et c’est plus délicat avec des oeuvres littéraires. sur les essais, comme le Prince, il y a un travail de recréation qui est souvent intéressant – le Confucius, dont je parlerai une prochaine, fois, est une autre réussite dans le genre. le problème, c’est avec des romans touffus et foisonnants, comme Guerre et Paix, les Misérables, ou la Recherche.
Dans la Recherche, le « résumé » fonctionne bien (avec les limites que ça implique), dans Guerre et Paix c’est moyen (mais pas honteux, juste bof), et dans les Misérables, euh, joker.
Pour BLF j’ai bien vu ça en discutant avec eux, c’est vraiment le message religieux qui est mis en avant (vu la tournée promotionnelle), alors que pour soleil c’est un titre dans une collection.
En dehors de ça, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’éditeurs associés à un courant religieux, ce qui ne veut pas dire que ce qu’ils éditent l’est forcément.
Je vais peut être plus m’orienter vers des oeuvres avec une portée « philosophique », parce que c’est surtout une forme accessible d’une pensée qui m’intéresse, que vers un récap d’oeuvre. J’ai juste le rouge et le noir, guerre et paix et les misérables, autant le premier ça passait autant les 2 autres ça tranchaient sec.
Désolée, je réagis un peu tard mais…
« Il faut remonter à septembre 2011, soit un an, pour les deux précédentes parutions » :
Le Manifeste du parti communiste a été souvent reporté, mais il est bien sorti en mars 2012. D’après l’interview de MN (http://www.manga-news.com/index.php/actus/2012/09/12/Rencontre-avec-Soleil-Manga : le paragraphe sous les couv’ hentaï et yaoi), les gens de Soleil sont « très satisfaits des résultats » de la collection Classiques. On leur a même proposé de créer les adaptations des oeuvres qu’ils souhaiteraient. Je ne m’inquiète donc pas trop pour l’avenir de cette collection. Dans le même style adaptatif, Soleil va publier « Les liaisons dangereuses », mais sans Variety Artworks cette fois-ci.
D’après ce que j’ai lu, la Bible est réellement une adaptation du récit, sans tentative de prosélytisme religieux. Cependant, je trouve le volume 1 plus intéressant, plus riche et mieux réalisé que le second.
Pour « Le Prince », j’ai lu de bonnes critiques, comme la tienne, mais j’ai prêté ce manga à ma maman avant de l’avoir lu. Du coup, je n’ai pas encore d’avis à ce sujet, même si je pense que je ne serai pas déçue ^^
Concernant César Borgia, je connais surtout Cantarella, qui est très romancé mais qui se base aussi sur des faits historiques. En fait, c’est le seul manga où je me suis spoilée (et pas qu’un peu) en lisant Wikipedia. Malheureusement, les deux derniers volumes ne sont pas sortis en France. Les droits de Kazé/Asuka ont pris fin avant leur publication, et vu que les ventes ont été catastrophiques… Bref, j’ai acheté les deux derniers en VO.
Pingback: Un newbie au Salon du livre : 1- samedi | Les chroniques d'un newbie
Pingback: Le triomphe de la Renaissance italienne | L'histoire en bulles