Anime & musique classique : la Symphonie du Nouveau Monde

Cela faisait longtemps que je n’avais pas écrit de chronique mêlant mes deux passions : l’anime, et la musique classique. Et voilà qu’en peu de temps, je suis tombé deux fois sur la même musique dans deux anime différents, Cobra et Waga seishun no Arcadia (le film de la saga Harlock). Je me suis dit que ça ferait un bon sujet. Cette musique, c’est la Symphonie du Nouveau Monde, du compositeur tchèque Anton Dvorak (à gauche). Une des symphonies les plus célèbres qui soient.

Mais si vous connaissez ! Ecoutez ces notes :

Non? ça ne vous dit rien? Et ce passage-là :

Ah, vous voyez, j’en étais sûr. En ce moment, vous êtes en train de vous dire : wow, on dirait de une musique de film. Cela arrive souvent lorsque l’on vient d’écouter une œuvre symphonique pour la première fois. Et lorsqu’il s’agit d’une œuvre de Dvorak, c’est encore plus évident. Mais pourquoi cette symphonie a-t-elle autant influencé la musique de film, jusqu’à atterrir dans les B.O. de Cobra et d’Albator? Quelques explications.

Musique de cinéma et musique classique sont liées par l’histoire et par les circonstances. A l’époque du muet, c’est-à-dire avant l’invention des procédés qui ont permis de synchroniser image et son, il y avait déjà des musiques de films, mais celles-ci étaient jouées live, dans la salle, ce qui en limitait les possibilités. Avec le cinéma parlant est donc venue de la musique enregistrée. Hollywood a recruté des compositeurs chevronnés, dans le milieu des compositeurs de musique classique : Gershwin, Korngold, Steiner, Herrmann étaient pour la plupart des européens, nés à la fin du 19e ou au début du 20e siècle, et les héritiers directs de Wagner, Strauss, Stravinsky, Ravel…  Et Dvorak.

Anton Dvorak était un compositeur tchèque, qui à la fin du 19ème siècle remporta un immense succès dans toute l’Europe. Ce qui lui a valu d’être nommé directeur du conservatoire de New York en 1892. A cette époque, aux États-Unis, il n’y avait encore pas de compositeur ni même de chef d’orchestre américain célèbre. Durant son séjour, Dvorak a posé les bases de la musique classique américaine. En 1893, il compose la Symphonie n° 9 dite Du Nouveau Monde. Il est fasciné par les grands paysages sauvages, qui lui inspirent des pages lyriques pleines d’énergie et d’optimisme. Mais surtout, il est le premier à s’inspirer du folklore américain, que ce soit les negro spirituals, les musiques populaires des immigrants (ce qui allait devenir la country), et même des rythmes indiens. Par exemple, dans le 2ème mouvement de la symphonie, on entend cet air :

Ça sonne très américain, non? Il s’agit d’une mélodie qui sera popularisée sous le titre de « Going Home » et qui figure aujourd’hui parmi les plus célèbres chanson Gospel. En fait, du début à la fin, la Symphonie du Nouveau Monde est comme une suite de mélodies très évocatrices, tantôt calmes et sereines, comme ce Going Home, tantôt énergiques et grandioses, comme le premier extrait que j’ai mis plus haut. Ce style, adapté à ce que l’on appelle poème symphonique, est très similaire à la musique de cinéma, qui fonctionne essentiellement par thèmes, facilement identifiables, associés à une ambiance, à un lieu, à un personnage du film, etc. C’est ce qu’on appelle aussi le leitmotiv. Inventé d’abord par Wagner, le grand spécialiste du leitmotiv dans la musique de film est John Williams. Sa musique de Star Wars, par exemple, est un véritable catalogue de leitmotivs, que le spectateur identifie dès les premières notes. D’ailleurs, plusieurs thèmes de John Williams sont quasiment des copiés-collés de Dvorak : il suffit d’écouter les musiques composées pour les Dents de la Mer, pour Superman, pour Indiana Jones et donc Star Wars (les deux trilogies) pour s’en rendre compte.

Mais si ce dernier est assez malin pour réutiliser les vieilles recettes de Dvorak sans que ça se voie trop, on ne peut pas en dire autant de Kentaro Haneda, le compositeur de la B.O. de Cobra, qui reprend deux mélodies de la Symphonie du Nouveau Monde en les remixant façon disco-lounge (qui a dit musique d’ascenseur?) – écoutez, vous allez retrouver exactement la mélodie du second extrait ci-dessus :

Amusant, non? Mais attendez, il n’est pas le seul. Devinez qui a repompé encore la même mélodie pour en faire le refrain d’une de ces chansons les plus célèbres, dédiées à sa muse de l’époque ?

Bon, passe encore pour Cobra (et pour Gainsbourg), après tout il y a eu un effort d’adaptation et de réorchestration. Et puis, ces passages sont tellement connus qu’on peut parler de citation, voire d’hommage (Gainsbourg ne s’est jamais caché d’avoir régulièrement pioché dans la musique classique pour ses chansons). Par contre, plus curieux est la façon dont Toshiyuki Kimuri a carrément piqué un morceau entier du début de la Symphonie du Nouveau Monde en l’insérant dans sa propre composition, en se gardant bien de citer un passage trop célèbre. Ecoutez d’abord l’original :

Maintenant, la musique de Waga seishun no Arcadia :

Et voilà le travail ! Ni vu ni connu !

Quoi d’autre? Ah oui, alors, je ne suis pas particulièrement fan de One Piece mais en faisant une recherche sur le web, je suis tombé sur un extrait de l’anime qui utilise le quatrième mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde pour un combat épique de Luffy contre Crocodile (saison 4, épisode 110). C’est assez malin car l’énergie du thème souligne le côté dantesque du combat, même si la musique est ici écrasée par les bruitages et les cris sans retenue des seiyus (la musique commence à 1.26) :

Pour conclure, j’espère que cette chronique vous aura donné envie de mieux connaître Dvorak, et d’écouter sa Symphonie du Nouveau Monde qui est vraiment une œuvre exceptionnelle. Il n’a pas composé que cette symphonie, bien d’autres œuvres valent le détour, notamment un somptueux concerto pour violoncelle, dont un très court extrait figure… dans la B.O. de Neon Genesis Evangelion, épisodes Death & Rebirth :

(Je vous avais prévenu que c’était très court. Désolé.)

Et pour vous récompenser d’avoir lu jusqu’au bout, plutôt que de vous commenter les 453 enregistrements (!!) de l’œuvre intégrale, je vous propose de l’écouter dans une version que j’aime beaucoup, qui plus est dans le domaine public : celle que le grand chef d’orchestre tchèque Václav Talich enregistra avec l’Orchestre Philharmonique Tchèque en 1954 (éditions Supraphon). Elle est en mono, mais d’une qualité exceptionnelle (j’ai acheté le CD à Prague il y a plus de 15 ans).

Enjoy…
Symphonie n° 9 en mi mineur, B. 178 (op. 95) « Du Nouveau Monde »
Czech Phliharmonic Orchestra, direction Václav Talich
Enregistré au Dvorak Hall, Rudolfinum, Prague, du 28 au 30 septembre 1954.
Son : mono.
1 -Adagio – Allegro molto (9.11)

2- Largo (12.41)

3 -Scherzo : Molto vivace (8.05)

4 -Allegro con fuoco
(11.16)

This entry was posted in anime, musique and tagged , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

16 Responses to Anime & musique classique : la Symphonie du Nouveau Monde

  1. Gemini says:

    Très intéressant article, comme tous ceux qui tournent autour de la musique classique sur ce blog. Je suis sûr d’avoir entendu ces thèmes dans d’autres animes, mais impossible de remettre la main dessus… La vieillesse, mon cher, la vieillesse ramollit ma mémoire !

    Quand je pense musique classique et cinéma, je pense à l’excellent Serguei Prokofiev, et son travail sur Alexandre Nievski, de Serguei Eisenstein. Mon père, grand amateur de musique classique, a d’ailleurs trouvé que la BO du Seigneur des Anneaux, de Howard Shore, ressemblait beaucoup aux compositions de Prokofiev.
    Il y a quelques semaines, à Lille, a eu lieu une projection de Metropolis avec un orchestre ; ça doit être une expérience unique, j’aurais voulu y être.

    • Mackie says:

      Les compositeurs russes de l’époque soviétique, Prokofiev, et surtout Shostakovitch, composaient régulièrement pour le cinéma. Y compris pour l’animation. J’ai plusieurs CD de ces compositions, mais il faut savoir qu’à part les films d’Eisenstein (surtout Alexandre Nevski c’est vrai), ce cinéma-là n’est pas venu chez nous.
      Et ce qui me fascine chez les compositeurs russes, c’est cette capacité à créer des oeuvres « à programme », pour des films, courts-métrages, ballets, musiques de scène, etc… avec un verve et un sens de la mélodie et du rythme inégalés.
      Pour Métropolis, oui j’en ai entendu parler, c’était avec la partition originale, ça devait être intéressant… ça me rappelle une manifesation similaire à laquelle j’ai assisté il y a qqs années, Philip Glass jouant et dirigeant en direct pendant la projection de la Belle et la Bête, de Cocteau… sublime…

  2. Prira says:

    Bonjour,

    Merci pour cet article qui a enrichi ma culture musicale.
    La dernière fois que j’ai entendu la Symphonie du Nouveau Monde dans un animé, c’était récemment dans « Shinsekai yori », un animé en cours de cette saison, et plus exactement, le thème du Largo. Ce thème est utilisé comme sonnerie les soirs. Clin d’œil intéressant, le titre anglais de « Shinsekai yori » est « From the new world »… C’est-à-dire le nom anglais de la Symphonie du Nouveau Monde.

    • Mackie says:

      merci pour la référence, j’ignorais cet anime. j’ai regardé la fiche sur MAL, ça a l’air intéressant. mais est-ce que ça va au-delà du clin d’oeil?

      • Tetho says:

        C’est probablement l’anime le plus intéressant du moment même si il est difficile de savoir où il va. Rythme lent, beaucoup de question et peu de réponses pour le moment, soit ça fini en queue de poisson, soit ça sera une réussite éclatante. Mais la direction artistique est très réussie et la réalisation soignée.

      • Prira says:

        Comme Tetho l’a dit, on a encore à ce stade de l’animé beaucoup de questions sans réponse. J’espère que la suite nous dira si ça va au-delà du clin d’oeil ou pas.

        Excepté l’épisode 8 qui est… disons très audacieux, c’est selon moi la série la plus intrigante et intéressante de la saison, qui nous plonge dans un univers hors norme.

  3. Tetho says:

    Une autre utilisation remarquable se trouve dans Gaiking – Legend of Daikyu-Maru, où c’est le thème principal de la méchante, Proist, qui l’utilise d’directement dans l’anime. Ses robots s’appellent même le Dvorak, puis le Final Dvorak.

    Extrait, avec le nom lâché en début histoire de faire dans la subtilité (en espagnol faut de mieux) : [major spoiler] http://www.youtube.com/watch?v=hGMp9W1hQVk&feature=player_detailpage#t=804s
    (tu peux remonter à 7:25 pour entendre une partie du 2eme mouvement aussi)

    In ne faut pas oublier aussi la 15eme OVA de Ginga Eiyû Densetsu ou elle est utilisée pendant la bataille d’Amlitzer. Toute la première moitié de l’épisode est illustrée par la musique de Dvorak, mais malheureusement la mise en scène n’est pas à la hauteur de la musique et cette dernière ne réussit pas a rendre l’affrontement aussi épique qu’il aurait du l’être.
    [obvious spoils] http://www.youtube.com/watch?v=LPFV9jhdHu8

  4. Vlenk says:

    Un article très plaisant à lire et à écouter.
    Après l’excellent « un accord presque parfait » ça plaisir de revenir sur ce mariage entre la musique classique et l’animation japonaise.

    D’autant plus qu’il s’agit de la symphonie du Nouveau Monde :
    l’utilisation du quatrième mouvement dans l’épisode 0126 de One Piece a été comme une révélation comme moi…
    Car c’est en mettant les pieds dedans, et au bout de quelques investigations, que j’ai pris goût à cet univers de la musique classique (avec une préférence pour la période romantique)

    On pourra également le retrouver dans Nodame Cantabile,
    (là rien d’étonnant puisse que que c’est le sujet de la série)
    mais son utilisation (dans le film live de 2010) lors d’un concours de chef d’orchestre est très prenante (la mise en scène joue beaucoup)

    • Mackie says:

      merci pour ton commentaire et pour cette nouvelle référence.
      et sinon rien à voir, mais tout ça me donne envie de voir le Violoniste de Hamelin…

      • Vlenk says:

        Ohohoh, tu m’en diras des nouvelles !

        Essaye d’abord le manga si tu peux, puis le film de 1995,
        avant de goûter à l’adaptation en série TV, avec son ambiance très dark-fantasy et son script entièrement récrit par Imagawa Yasuhiro.

        Je n’ai pas vu mentionné la symphonie du Nouveau Monde,
        mais les références musicales sont nombreuses dans cet oeuvre.

  5. lysi says:

    Bonjour,
    Merci pour cet article qui m’a fait énormément plaisir.
    La première fois que j’ai entendu cette symphonie, j’ai tendu l’oreille comme si je la connaissais depuis toujours. J’aime particulièrement le premier mouvement. Je me pose toujours la question, mais je pense que j’ai du l’entendre dans un des dessins animés de mon enfance. Je sais que dans les schtroumpfs, il y a énormément de musique classique… donc voilà cette sensibilité à la musique classique me vient des dessins animés, merci Dorothée !!! et bien sur merci à vous

  6. J-B Voinet says:

    Bonjour,

    Quelques arrangements du deuxième mouvement (pour instrument ou pour piano) sont disponibles ici gratuitement : http://www.partitionsdechansons.com/pdf/2143/dvorak-symphonie-du-nouveau-monde.php

  7. Impressionnant de voir à quel point cette mélodie a pu être reprise :o !!

  8. Lucie says:

    Article super intéressant autant sur la lecture que sur les morceaux à écouter ! :)

Répondre à Mackie Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>