Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre
(Madogiwa no Totto-chan)
de Tetsuko Kuroyanagi
Kodansha, 1981
Presses de la Renaissance, 2006
Edition de poche : Pocket, 2009
Après les Enquêtes à l’ombre des cerisiers, de Saikaku, je vous propose donc la deuxième de mes trois chroniques sur des livres que j’ai envie de vous conseiller pour bien débuter l’année. Je vous ai recommandé le premier pour sa qualité littéraire et pour son intérêt historique. Aujourd’hui, je vous prescris le second pour raisons de prophylaxie : Totto-Chan fonctionne comme une cure de prozac et de vitamine C, sans effets secondaires. Idéal après les excès de ces derniers jours.
L’histoire :
A six ans, Totto-Chan pose un léger problème à ses parents : elle vient de se faire renvoyer de son école ! Désobéissante, têtue, bavarde, considérée comme ingérable par le corps enseignant, aucune école ne veut plus d’elle… Sauf une : l’école Tomoe, mais quelle école ! Six wagons désaffectés faisant fonction de salles de classes, un directeur, monsieur Kobayachi, qui la laisse parler autant qu’elle veut, des nouveaux camarades – certains d’entre eux handicapés – qui ont l’air de vraiment s’amuser tout en apprenant… Nous sommes en 1940, le Japon s’enfonce dans une guerre qui commence à toucher les civils, et pourtant Totto-Chan va vivre ici les plus belles années de sa vie. Et sa vie durant, dans les moments difficiles, elle se rappellera toujours ce que lui disait M. Kobayashi, lorsqu’elle avait fait une grosse bêtise : « En vérité, tu es très gentille » .
Ce que j’en pense :
Totto-Chan, c’est le surnom de l’auteure, Tetsuko Kuroyanagi, quand elle avait 6 ans. Actrice et célèbre présentatrice de la chaîne de télévision NHK, et engagée dans différentes ONG (ambassadrice de l’Unicef, directrice de WWF Japan…). C’est pas que je sois particulièrement porté sur les livres de souvenirs des vedettes de la télévision, mais j’ai été intrigué par le titre, Totto-Chan, avec la jolie illustration de couverture. J’en reparlerai plus bas. D’autant qu’il ne s’agit pas, ici, de livrer de croustillants secrets sur les coulisses du show business, mais bien de témoigner d’une expérience originale, surtout pour l’époque : on est au Japon, en plein durant la 2ème guerre mondiale.
Tetsuko Kuroyanagi a rassemblé ses souvenirs d’enfance pour en faire un livre, et rendre ainsi hommage à l’école Tomoe qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, a vraiment existé. Son fondateur et directeur, Sôsaku Kobayashi, a pu y mettre en pratique une expérience unique d’école idéale, en se fondant sur les préceptes du pédagogue et musicologie suisse Émile Jaque-Dalcroze, et en y développant une philosophie pacifiste et écologiste avant l’heure. Les principes en sont le respect de l’autre et de ses différences (à travers l’accueil d’élèves handicapés, comme le petit Yasuaki-Kun, lourdement affecté par la polio), l’apprentissage par l’expérience et l’autonomie (les bêtises sont un moyen d’apprendre et de dépasser l’échec), la valorisation de tous les savoirs (le paysan du coin se voit nommer « fermier instituteur » lorsqu’il vient aider les élèves à cultiver un potager)…
En soi, c’est déjà original, mais en outre il convient de replacer cette expérience dans le contexte historique. Comme le dit Kuroyanagi dans sa postface, il est fort étonnant que « le Gouvernement ait permis qu’une école aussi libérale que Tomoe existât à une époque comme celle de la 2ème guerre mondiale au Japon. » . Seul le fait que M. Kobayashi évitait toute publicité, et que les parents d’élèves étaient probablement eux-mêmes de mentalité libérale (le père de Totto-Chan, par exemple, était premier violon dans l’orchestre symphonique de la NHK, dirigé à l’époque par un chef allemand d’origine juive, Joseph Rosenstock) permet de comprendre que cette petite institution, comptant peu d’élèves, ait pu fonctionner en toute discrétion.
Tomoe apparaît ainsi comme une sorte de parenthèse enchantée, où les enfants arrivaient à suivre un enseignement scolaire fondé sur des valeurs contraires à celles professées par le Gouvernement impérial : ils apprenaient des rudiments d’anglais, échappaient à la propagande, n’avaient pas besoin d’apprendre les hymnes et chants militaires, etc. Surtout, ils pouvaient grandir dans un environnement non répressif, mais au contraire, fondé sur l’amour et la tolérance. Que serait devenue Totto-Chan, si elle avait dû passer sa scolarité en étant sans arrêt punie, comme c’était le cas avant qu’on la renvoie (à 6 ans !) ?
Ce livre n’est pas celui d’un grand écrivain. Il n’en n’a pas la prétention. Construit sous forme d’une suite de chapitres courts, basés chacun sur une anecdote particulière (la sortie au temple, l’heure du déjeuner, l’arrivée d’un nouvel élève, la fête du sport…), le livre fait un peu album de photos souvenirs, et n’est pas exempt de maladresses de construction : répétitions, coq-à-l’âne… Il frôle souvent l’angélisme, menaçant de basculer à tout instant dans la niaiserie. Mais la modestie et l’enthousiasme du propos, alliés à une bonne dose d’autodérision, font passer le tout, que j’ai lu d’une traite. Et puis, l’auteure parvient à rendre vivants ses anciens camarades, et au fond il est possible, pour peu qu’on ait conservé un peu de son âme d’enfant, de partager leurs petites aventures. C’est même émouvant, quand Totto-Chan est confrontée, par trois fois, au deuil…
Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre est un livre qui peut se lire presque à tout âge, à partir de 10 ans je pense. Il est dommage que l’édition de poche ne reprenne pas les illustrations choisies par l’auteure.
Les illustrations de cette chronique sont toutes de Chihiro Iwasaki. Cette artiste, née en 1918 et décédée en 1974, mit longtemps à être reconnue comme illustratrice de livres pour enfants. Pratiquant surtout l’aquarelle, mais aussi l’huile sur toile et la calligraphie, elle a peint pour de nombreux livres, notamment les éditions japonaises des contes d’Andersen ou des frères Grimm. Deux musées lui sont aujourd’hui consacrés, à Nerima (Tokyo) et à Azumino (Nagano), présentant aussi des expositions temporaires d’autres artistes et illustrateurs de livres pour enfants, de dimension internationale. Chihiro Izawaki était déjà décédée, à seulement 56 ans, lorsque Tetsuko Kuroyanagi publia Totto-Chan, mais dans sa postface, elle indique qu’elle avait depuis longtemps l’envie d’associer les aquarelles de l’artiste à ses souvenirs. Grâce à l’immense succès du livre, Chihiro Iwazaki et Totto-Chan sont définitivement liées, comme le montre cette exposition, sobrement intitulée : Chihiro & Totto-Chan. Ce sont sur les sites des musées et de l’expo que j’ai pioché pour choisir les images. J’espère qu’elles vous auront donné envie de lire ce petit livre, court, facile, et très attachant.
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Yeah, Totto-Chan, c’est le bien. Si je devais le faire court, c’est un peu comme Yotsuba en livre.
J’avais pris le bouquin à cause de l’image de sa couverture que j’aimais beaucoup. Et je n’ai pas été déçu par son contenu. C’est amusant juste comme il faut, sans trop pousser le bouchon trop loin.
Un livre que je conseille ^^
« Yeah, Totto-Chan, c’est le bien. Si je devais le faire court, c’est un peu comme Yotsuba en livre. »
Yeah, Corti, t’as définitivement le sens de la formule ! hop, clic bouton « J’aime ! »
Ca fait un moment que je zieute la couverture. Le contexte de guerre m’a un peu refroidit mais là, tu me donnes envie de le lire. Les illustrations sont magnifiques, c’est en effet vraiment dommage qu’il n’y ait pas de version française qui les reprenne…