Kyoko
de Ryû Murakami
traduit par Corinne Atlan
Shueisha, 1995
Picquier, 1997
Picquier poche, 2000
Troisième et dernière des trois chroniques sur les livres que je vous recommande chaleureusement, pour bien débuter 2013, après Saikaku avant-hier et Totto-Chan hier.
L’histoire :
Une jeune japonaise d’à peine 20 ans, Kyoko, débarque à New York dans l’espoir de retrouver José, celui qui 8 ans auparavant, lorsqu’il était G.I. dans une base militaire américaine au Japon, lui a appris à danser la salsa. Elle n’était qu’une enfant, et en apprenant la danse avec ce militaire d’origine cubaine, elle a appris à aimer la vie, à être indépendante, à être elle-même. Chaque jour, lorsque son métier de chauffeuse de poids lourd le lui permet, elle pratique la danse pour cultiver sa passion et se maintenir en forme. Aussi, devenue adulte, elle estime que le temps est venu de remercier son mentor, ce José dont elle n’a qu’une adresse griffonée sur un bout de papier à New York, et une paire de chaussons de danse, portant son nom… Réussira-t-elle à le retrouver, dans cette mégalopole dont elle ne connaît ni les codes ni les dangers ?
Ce que j’en pense :
Kyoko est un roman à part dans l’œuvre de Ryu Murakami.
D’abord, parce qu’il a été écrit non pas d’après un de ses propres films, ni qu’il a été ensuite adapté en film : Kyoko a été écrit en même temps qu’il préparait le film, c’est-à-dire qu’il connaissait l’actrice qui allait incarner le rôle, qu’il concevait les scènes alors qu’il écrivait le roman, etc… Ce qui, du point de vue formel, donne au lecteur la sensation de regarder un film, du moins, c’est vraiment l’impression que j’ai eue. La structure même du roman, très « Murakami-esque » , si j’ose dire, renforce cette impression : à part le prologue et l’épilogue, tous les chapitres sont racontés du point de vue d’un personnage différent, tel que rencontré dans la chronologie de ce road movie, et même, parfois, certains évènements sont racontés deux ou trois fois, par d’autres intervenants, comme autant de caméras aux angles différents. Cela crée un double effet cinématographique : un effet de voix off, d’une part, et un effet de flash-back, d’autre part. Mais ce n’est pas du tout gratuit : c’est surtout dû au sujet du roman, j’allais dire du film : Kyoko traverse l’histoire avec grâce, comme un ange, et c’est à travers le regard des hommes – et parfois, des femmes – qu’elle croise que l’on peut, le mieux, s’en rendre compte. L’histoire bouclée, le voyage achevé, il ne reste plus, à la toute fin, qu’à lui rendre la parole. Pour qu’elle livre sa vérité.
Kyoko est un roman à part, ensuite, parce que – je pense que vous l’aurez déjà deviné à travers les lignes qui précèdent – le fond, le sujet est très différent du reste de l’œuvre de Ryu Murakami. Ici, pas de serial killer comme dans Miso Soup, ni de personnages suicidaires ou déshumanisés et ultraviolents comme dans Lignes. Comme il le dit dans sa postface (c’est très japonais, ça, le coup de la postface, pas seulement pour remercier, mais aussi pour expliquer, justifier, des fois qu’on n’aurait pas compris – bref), Murakami a souhaité pour une fois ne pas parler de drogue, ni de prostitution, ni de sadomasochisme. Aucune scène brutale ou sanglante ne nous fera la mauvaise surprise de nous sauter à la gueule, comme dans, non, je ne vais pas le dire. Kyoko est un roman beaucoup plus simple que ce à quoi on peut s’attendre connaissant Ryu Murakami, un roman qui veut faire du bien, et même s’il ne peut s’empêcher, au passage, d’aborder un sujet grave – le sida, il le fait avec retenue, tendresse et humanité, s’appuyant sur la chaleur et la sincérité de son héroïne, Kyoko. C’est un peu comme si Kyoko avait imposé son point de vue à l’auteur. Et ça marche. En tous cas avec moi.
Kyoko a beau donner la parole à des hommes et des femmes que la vie a parfois bien cabossés, il plane sur ce roman comme une sorte de magie, un optimisme contagieux, qui part du cœur – ou des jolis yeux – de Kyoko, et qui se propage de personne en personne, transformant leurs vies. Et croyez-moi si vous le voulez, mais en plus, ça m’a donné envie de ressortir certains de mes vieux CD de salsa, ce qui, en cette période de grisaille saisonnière, est une bonne façon d’ensoleiller sa journée.
(Les photos d’illustration sont tirées du film Kyoko, aka Dance with me, aka Because of you.)
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