Noir (Nowâru)
concept et scénario Ryoei Tsukimura
réalisé par Kôichi Mashimo
design des personnages Yoko Kikuchi
musiques de Yuki Kajiura
studio Bee Train, 2001
première diffusion française : 2004
DVD Dybex, 2009
26 épisodes de 25 mn.
L’histoire :
Paris, années 2000. Dans sa boîte mail, Mireille Bouquet, une tueuse à gages française, reçoit du Japon une étrange invitation à effectuer un pélerinage dans son passé. Elle découvre que ce message provient d’une lycéenne amnésique, Kirika, qui se fait appeler « Noir », sans qu’elle sache ce que cela signifie… Lors d’une attaque par des hommes inconnus dans une usine désaffectée, Mireille se rend compte que Kirika est, comme elle, une combattante redoutable. Les deux jeunes filles rentrent ensemble à Paris, pour former un duo de tueuses sous le nom de Noir. Surtout, elles vont essayer de retrouver leur passé, symbolisé par une montre à gousset, dont la petite musique fait ressurgir les bribes d’une tragédie qu’elles ont vécu ensemble dans leur petite enfance… Mireille propose un étrange pacte à Kirika : quand ce mystère sera résolu, elle devra la tuer…
Ce que j’en pense :
Certains d’entre vous auront peut-être relevé dans le titre de cette chronique un hommage subliminal rendu à une blogueuse qui a décidé de mettre son site en sommeil, il y a quelques semaines, jusqu’à en évoquer la fermeture. Au-delà du fait que ce serait fort dommage, il s’agit surtout de rappeler ici que je lui dois d’avoir attiré mon attention sur l’anime dont je vais vous parler aujourd’hui, et sur lequel elle a écrit des choses qui resteront sans doute plus subtiles et personnelles que les lignes qui vont suivre. Question de sensibilité, autant que d’écriture.
Il y a plusieurs manières de décrire un anime comme Noir (mais impossible de le décrire sans spoiler, vous êtes prévenus).
Noir, un thriller invraisemblable…
La première et la plus simple consiste à ne s’arrêter qu’au genre, ou à ce qu’il semble être à première vue : un thriller. Des tueuses à gages embarquées dans un complot mondial, affrontant mafias, triades et autres sectes d’assassins, sans oublier les polices du monde entier. Dans ce cas, toute la première partie de la série correspond bien aux canons du genre, et remplit le cahier des charges. Un peu trop bien, même : quand arrive la fin de l’épisode, et que vous entendez la musique s’accélérer façon techno, vous pouvez être sûr que ça va défourailler, et que les hommes de main vont tomber comme à Gravelotte. J’ai beau savoir que tout cela ne doit pas être pris au premier degré, l’accumulation des fusillades avec des dizaines de morts à chaque fois finit par devenir hypnotique… C’est magnifiquement chorégraphié, certes, et l’imagination de la mise en scène vaut quelques magnifiques morceaux de bravoure, quelque part entre Matrix et les films de John Woo, mais on explose les records de l’invraisemblance à chaque seconde. Déjà, je ne sais pas ce qu’elles utilisent comme flingues, les gamines, mais ça contient des chargeurs de cinquante au bas mot : c’est tout juste si elles ont besoin d’en changer. Ensuite, les porte-flingues (tous des mecs en costard bleu) sont à peine plus futés que des stormtroopers : ils se laissent dézinguer presque sans bouger pour la plupart. Un vrai ball trap. Pool ! Dois-je enfin insister sur l’absence totale de forces de l’ordre dans des lieux publics où des fusillades font jusqu’à 50 morts sans que personne n’intervienne? Ce qui permet, ensuite, à nos survivantes (devinez-qui) de passer encore des heures sur les lieux sans se replier ni se dissimuler, trop occupées à pleurer et à se regarder dans le blanc des mirettes?
Ok, je critique, mais en fait, c’est précisément parce qu’ils sont totalement invraisemblables que ces passage deviennent jouissifs, car les gunfights nous renvoient directement aux combats de sabre des bons vieux samouraïs, comme dans Ninja Scroll ou l’Épée de vérité. Par exemple, normalement, Kirika n’aurait pas dû survivre à la manière dont elle se sert d’une corde pour surprendre un assassin et le tuer, à l’épisode 9, ça aurait dû lui briser la colonne vertébrale. Mais bon, dans le feu de l’action, ça m’a laissé pantois. Des scènes comme celles-là, il y en a plein. Mais l’invraisemblance ne s’arrête pas à la mise en scène : elle contamine largement le décor.
…dans un Paris impossible
Noir se passe en grande partie à Paris. Enfin, quand je dis Paris, faut voir : imaginez une capitale où l’on peut entrer partout sans croiser âme qui vive, où les monuments sont semés au petit bonheur d’une topographie intenable, où la Seine est rectiligne comme une piste d’atterrissage et large comme le Danube en crue (on aperçoit au loin la rive opposée), où les immeubles sont roses, bleus et mauves avec des panières de fleurs, des volets peints et des toitures en tuiles, et où la Tour Eiffel est visible depuis n’importe quelle fenêtre ouverte. Vous me direz : ok, Hollywood a fait pareil et même pire, et au moins, dans Noir, on ne croise pas de cyclistes avec béret et baguette sous le bras passant devant des aveugles qui jouent de l’accordéon. C’est vrai, mais c’est parce que dans Noir, il n’y a pas de parisiens du tout. Il y a quelques patrons de bistrots (enfin, de whisky bar) qui attendent des clients inexistants, et quand on croise enfin un mec qui traîne dehors à faire de l’aquarelle, pas de bol, c’est un tchèque, et en plus, il meurt.
Bref, Paris ressemble à un univers parallèle, avec des réverbères, des escaliers partout et des jardins publics immenses, avec si peu d’éléments modernes que c’est à se demander si les habitants (oui mais quels habitants?) connaissent l’usage du métro ou de l’automobile. On s’attend à voir passer des calèches… Cela dit, je dois admettre que du point de vue du scénario, c’est quand même bien pensé, au moins, comme ça, nos deux flingueuses peuvent abattre en pleine rue (voire sur les toits, et même dans Notre-Dame!) des soldats par paquets de douze, en toute tranquillité.
De toutes façons, plus on avance dans l’histoire, et plus le décor semble perdre toute réalité. Mais là aussi, cette irréalité sied à la série. La deuxième partie de Noir nous embarque vers les environs du « domaine », lieu explicitement décrit comme hors du temps, donc hors de la réalité. Il est protégé par un village et ses habitants qui ne sont répertoriés sur aucune carte, où la modernité semble avoir disparu. Le domaine lui-même est un lieu sans réalité. C’est un mélange impossible de ruines gréco-romaines et médiévales, posé au milieu d’immenses vignes éternelles où jamais on ne semble faire la moisson, les grappes étant perpétuellement à leur maturité. Ce décor, situé quelque part dans les Pyrénées (on n’en saura pas plus) fait référence à l’Arcadie, ce pays mythique situé en Grèce antique, et où règne un éternel âge d’or, innocent, préservé de toute violence. Et si Noir n’était pas un thriller, mais une série fantastique?
Noir, une allégorie fantastique
Du début à la fin, Noir accumule les symboles mystérieux, créant ainsi sa propre mythologie. Chaque épisode commence par les mêmes images et les mêmes paroles aux accents sacrés, le rattachant à une tradition millénaire secrète : « Le noir, ce mot désigne depuis une époque lointaine le nom du destin. Les deux vierges règnent sur la mort. Les mains noires protègent la paix des nouveau-nés« . Des indices sont progressivement révélés sur un complot d’échelle planétaire, mené par une mystérieuse organisation, « les soldats », qui tient à la fois de la secte (rites, croyances, prophétie, prêtresses) et de la mafia (hiérarchie, pouvoir, chefs, soldats). Les fondements de cette organisation sont la conviction que de tous temps, l’homme est voué au mal, et que le mal doit être combattu par le mal.
Les héroïnes, c’est-à-dire Mireille, Kirika et Chloé, sont manipulées et éduquées depuis leur enfance pour accomplir le « grand retour », avènement d’un surhomme de type Nietzschéen destiné à donner un sens à la marche de l’histoire. Ce surhomme s’appelle Noir. L’originalité est que ce surhomme est double, et par surcroît féminin et virginal, incarné par le duo que forme d’abord Mireille avec Kirika, puis Kirika avec Chloé, avant de créer un dernier avatar sous l’effet des circonstances, mais aussi surtout de l’amour.
Le duo Mireille/Kirika est un des plus fascinants que j’aie rencontrés dans l’anime à ce jour. Formé à l’origine sur une quête commune de leur passé et de leur identité, progressivement consolidé par un amour pur et absolu, mais non avoué (il n’y a aucun homme entre elles), le duo traverse les épreuves initiatiques où il se renforce, y compris l’épreuve de la rivalité (Chloé), jusqu’au dénouement final. Noir est le récit d’une course à l’abîme : ouvrant la boîte de Pandore, Mireille et Kirika ne peuvent accomplir leur quête qu’au prix de leur propre destruction. Ce qui est d’ailleurs l’objet d’un pacte entre elles : Quand elles auront touché au but, Mireille devra tuer Kirika. Quant à ce qui arrivera réellement… je vous laisse le découvrir.
Toute la réussite de Noir repose sur le glissement progressif du thriller vers le côté fantastique et onirique, avec des moments de contemplation, ou de tragédie antique, qui culminent lors de scènes proprement inoubliables. Le coup de feu sur les toits de Paris (épisode 20), par exemple, est un passage que j’ai trouvé d’une force émotionnelle inouïe. Il en est de même un peu plus tôt, lors de la fusillade sur l’escalier qui monte au temple, dans l’arc de Taiwan (épisodes 16 et 17). Et plus tôt encore, dans la fameuse scène de gunfight dans une usine désaffectée, avec ce final au soleil couchant (épisode 1). Mais plus encore que les scènes de combat, ce sont les longs passages silencieux entre les héroïnes, sans mots prononcés, où le dialogue passe entièrement par les regards et par les gestes. Kirika, dans le genre, est un personnage d’une grande charge émotionnelle. Parlant très peu, ne sachant que faire de son corps frêle et maladroit, elle s’anime d’une vitalité surnaturelle lors des scènes d’action, pour retomber ensuite dans une sorte d’apathie, de rêverie dépressive, que seule Mireille parvient à secouer avec son énergie et son autorité. Entre les deux, s’interpose la silhouette drapée d’une cape et presque masquée de l’androgyne Chloé, qui se fait rivale de Mireille lorsque Kirika « retrouve » son identité de tueuse froide au domaine. Le fantastique prend définitivement le pas sur le polar lors de la bataille du village, scène de guerre irréelle dont je n’avais jamais vu un déroulement similaire. Même la toute dernière image du dernier épisode (je devrais dire : le dernier bruit) laisse planer le doute sur la réalité de ce qui vient de s’accomplir. Libres ou damnées? Vivantes ou mortes? Les interprétations peuvent se contredire, selon ce qu’on a envie de croire…
Je m’aperçois que j’ai oublié de parler des musiques. Il a été souvent dit que la bande originale de Noir participe grandement à sa réussite. Je suis d’accord. Même si je les trouve parfois un peu répétitives, et un rien hétéroclites, au moins deux thèmes en émergent : il s’agit de Salva Nos, mélange de chants typés religieux et de techno, et de Canta per me, qui mêle le même genre de chant à un des cordes acoustiques qui marquent le rythme de façon spectaculairement tranchante. Si vous ne connaissez pas et que vous avez eu le courage de lire ce qui précède, je vous encourage à les écouter, elles illustrent bien l’atmosphère mélancolique et dramatique de Noir.
Noir, c’est tout cela, du polar (noir, bien sûr), de l’aventure, de l’action, de la poésie, de la tragédie, du mythe, du fantastique, dont même les clichés et les invraisemblances font le charme. Une série à la forte personnalité, aux personnages forts, à la musique entêtante, qui mérite un visionnage intensif (une dizaine d’heures à répartir en cinq soirées, c’est parfait) pour bien s’en imprégner. Un classique, et pour ma part, une promesse de re-visionnages futurs, en espérant y trouver de nouveaux détails et aspects qui en enrichiront ma compréhension, et mon plaisir.
Noir fut une de premières séries que j’ai découvertes lorsque j’ai commencé à regarder des animes.
Bien que déjà d’un certain âge, j’avais certainement à l’époque un œil beaucoup moins critique, plus naïf et aucune lassitude ne m’avait encore atteint. J’avais adoré et je garde donc envers elle une tendresse assez forte.
Assez en tout cas pour lui pardonner des défauts que j’ai pu reprocher à la suite à d’autres séries du même style dans lesquelles je recherchais les mêmes ingrédients ou la même émotion (Madlax, El Cazador de la Bruja … – excepté l’excellent Phantom: Requiem for the Phantom (la série, pas les horribles OAVs) que je te conseille si tu ne connais pas déjà.
Tu l’as très bien noté et mis en évidence dans ton article : Noir, c’est avant tout une ambiance, une profonde mélancolie teinté de violence désespérée. Et pour pouvoir accéder à ces sentiments, il faut savoir faire l’impasse sur tous les côtés loufoques et bric à brac du scénario qui mélange film noir et conte. Il faut se laisser happer par l’atmosphère, et une fois saisi, impossible de décrocher de l’envie d’en savoir plus sur ces fillettes si fragiles et pourtant si vénéneuses emportées par un destin qu’elles n’ont pas choisie.
C’est toc, mais qu’est ce que c’est beau.
Je partage l’avis d’Inico, en particulier sur les séries d’après et Phantom – Requiem for the Phantom. Noir n’est pas exempt de défauts mais j’avais apprécié cet anime pour son ambiance triste. Le duo Mireille/Kirika fait mouche et elles semblent souvent entrer en « écho » de part leurs sentiments, même si elles semblent s’opposer. Au final, quand on les voit toutes les deux, elles se complètent.
Les musiques jouent un grand rôle dans l’anime (comme souvent avec le studio. Il n’y a qu’à voir Phantom, Madlax, etc…). Salva Nos est celle que j’aurais citée en premier car c’est celle qui représente le mieux Noir (avec Canta per Me, je te rejoins complètement). C’est amusant de voir que dans Madlax par exemple, anime moyen finalement, la musique tire aussi son épingle du jeu et que c’est aussi la « musique de combat » qui s’en sort le mieux (je parle de Nowhere et Salva Nos).
Moi aussi, je garde un bon souvenir de cet anime, et en particulier pour son ambiance qui ne serait pas ce qu’elle est sans sa musique.
C’est sûr que le scénario est un peu fumeux par moment, mais je pense qu’il sert surtout à introduire le bouquet final où les deux principales protagonistes… mais chut
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